Un carnet pour lire ou pour écrire

Pédagogie, Testé en classe - 25 janvier 2017 par Fabrice Sanchez

« J’écrirai ici mes pensées sans ordre… »

Pascal

 

Les cartables sont lourds, répète-t-on. Les livres, les manuels et les anthologies, l’agenda et le goûter, les grands cahiers aux vastes marges, blancs, lignés, à carreaux le plus souvent, nuisent au rachis des élèves. Nous nous proposons de les soulager et de remplacer, pour une séquence, l’épais classeur, le lourd cahier de français par un simple carnet.

 

Par Fabrice Sanchez

 

Il ne s’agit pourtant pas d’alléger les épaules des élèves, mais leur esprit. En effet, surtout en classe de sixième, l’enjeu principal du cours de français semble être d’écrire les titres en rouge, les sous-titres en noir, de prendre la correction en vert et, surtout, d’encadrer le bilan. Lorsqu’on demande de souligner un mot, une forêt de mains se lève : peut-on aussi les surligner, les entourer ? L’épopée, le conte oriental, les accords dans le groupe verbal, Merlin et Télémaque sont peu de chose devant le surligneur rose ou le crayon gris. On est souvent frappé par la netteté des cahiers, l’élégance de la graphie, les ravissantes bulles remplaçant les points des « i », et les sottises écrites.

 

L’utilisation d’un carnet permet de conjurer le côté « sépulcre blanchi » des cahiers. Pour quelques semaines, blancs, surligneurs et souris seraient interdits. Les élèves devraient bien sûr y recopier le cours et y faire leurs devoirs, mais on les inciterait à écrire plus librement : tracer hâtivement un schéma, gribouiller quelques mots, barrer distraitement, écrire quelques phrases ineptes pour trouver une idée originale. Le carnet est à la fois un cahier et un brouillon, il lève les contraintes habituelles du collège, le soin, l’ordre, pour en imposer d’autres : le retour sur son travail, la remise en question de ses premières idées, mais aussi l’audace et la créativité. Il tente de remplacer la rigueur du « code couleur » par celle de la pensée.

 

Certains chapitres des manuels Passeurs de texte se prêtent davantage à l’utilisation des carnets. En classe de sixième, les élèves pourraient étudier L’Île au trésor de Stevenson et tenir le carnet de bord de Jim Hawkins (ou de Long John Silver…) : rendre compte de leur lecture, des événements de la journée, émettre des hypothèses sur les autres personnages, dessiner le plan de l’île, rédiger le brouillon des messages envoyés aux pirates, élaborer des pistes de lecture, deviner la suite haletante d’un chapitre.

 

En classe de cinquième, l’objet d’étude « Le voyage et l’aventure » se prête particulièrement à une telle démarche. Les élèves pasticheraient le Journal de bord de Christophe Colomb, les Aventures d’Arthur Gordon Pym ou écriraient un nouveau Livre des Merveilles. Ils inventeraient des lieux et des coutumes étranges. Le professeur distribuerait des photographies de bâtiments, palais, églises et mosquées, châteaux en ruine : les élèves, à l’aide de flèches, seraient amenés à les décrire en utilisant des groupes prépositionnels ou des propositions subordonnées relatives. Par des collages, ils imiteraient les célèbres Carnets de Delacroix. Ils dessineraient un objet étrange ou exotique qu’ils ont chez eux et le décriraient à la manière de Jean de Léry. Ils y glisseraient des grains de sable ou des épices. Un carnet serait également propice à l’invention d’univers nouveaux, à la conception de cartes, à l’imagination de plantes et de bêtes fabuleuses.

 

Le programme de quatrième propose de voir dans la ville « le lieu de tous les possibles » : le carnet accompagnerait aisément les élèves dans leurs flâneries urbaines, ils pourraient y écrire leurs impressions et sensations, des listes de mots, y croquer un animal errant, un arbre en fleurs, un bâtiment abandonné, y coller des feuilles ou des publicités, l’enveloppe d’un bonbon, une plume, les photos qu’ils auraient prises lors de leurs déambulations. Ils y traceraient les contours de leur main ou d’un objet intrigant. Ces bribes de rues seraient le point de départ d’un poème, d’un récit fantaisiste ou d’un polar.

 

Enfin, les élèves de troisième pourraient, dans leurs carnets, inventer un futur à notre monde : tracer les plans de villes parfaites, dessiner des robots et des vaisseaux, prendre des notes de leurs lectures cursives, décalquer un dessin de François Schuiten ou recopier un projet de Le Corbusier, imaginer, à leur tour, une société merveilleuse ou dystopique.

 

Le carnet accompagnerait également les lectures cursives des élèves : ils y noteraient des impressions, des hypothèses, les phrases qui les auraient marqués ou déconcertés ; ils y feraient la liste des éléments futuristes, épiques ou fantastiques d’un chapitre ; ils proposeraient des adjectifs pour décrire le personnage principal ou dessineraient un objet important de l’intrigue.

 

Le carnet sollicite ainsi l’imagination des élèves et celle de leur professeur. Recueil et méthode, liste de courses et objet d’art, il invite les élèves à se montrer moins ordonnés de prime abord, mais plus aptes à se reprendre et se perfectionner.

 

Un tel travail se prêterait également à un projet interdisciplinaire avec le professeur d’arts plastiques ou le professeur documentaliste. Les carnets pourraient faire l’objet d’un concours, puis d’une exposition.

 

Un nouveau continent émergerait au CDI, entre les ordinateurs et les rangées d’albums : on verrait d’abord des agrafes et des plumes, on devinerait des cartes et des croquis, des ratures et des fleurs, on lirait des aventures en mer, des descriptions de terres lointaines, des chroniques de mondes oubliés.

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