Pourquoi et comment enseigner en classe inversée

Pédagogie, Testé en classe - 22 novembre 2017 par Alexandra de Montaigne

La question des « devoirs » préoccupe tous les acteurs de la scène éducative : la recherche, qui ne parvient pas à résoudre un dilemme insoluble (font-ils réussir ou non les élèves ?), l’institution, les professeurs, les familles, les partenaires associatifs, les entreprises de soutien scolaire… et bien évidemment les élèves.

S’il ne s’agira pas, dans cet article, de résoudre la question polémique : « Pour ou contre les devoirs à la maison ? », il sera néanmoins question de savoir dans quelle mesure articuler le travail en classe et le travail hors classe, afin de favoriser les apprentissages des élèves.

Je m’appuierai pour ce faire sur l’expérimentation de la classe inversée qui est menée par deux professeurs au collège Roger Martin du Gard (Épinay-sur-Seine), ainsi que sur mon expérimentation de classe d’accompagnement progressif au travail personnel. Et c’est dans le cadre des théories socio-constructivistes des pédagogies de l’activité que sera interrogée la question du lien entre le travail en classe et celui hors classe. Il s’agira tout d’abord de mettre en évidence un certain nombre de problèmes didactiques et pédagogiques inhérents aux devoirs à la maison ; puis de comprendre dans quelle mesure le travail personnel peut s’envisager comme source d’apprentissages.

Le travail à la maison : un devoir pour l’enseignant ?

La sonnerie retentit, nous n’avons pas fini l’exercice prévu, nous n’avons pu achever l’activité annoncée, les conseils de classe approchent, le temps se resserre… Alors, dans une ultime tentative d’allongement du temps, nous confions aux élèves le soin de terminer le travail chez eux. Donner des devoirs à la maison constitue bien souvent pour les enseignants un devoir auquel ils se sentent eux-mêmes assignés, par tradition, par habitude, par conscience professionnelle. Mais assignés par qui ? Par les parents, tout d’abord, qui jugent parfois la qualité d’un enseignement à la qualité et à la quantité des devoirs donnés ; par les élèves, ensuite, qui attendent d’un bon professeur d’être harassés de devoirs ; par la communauté éducative, enfin, qui pense percevoir la qualité de l’enseignement prodigué à la nature des devoirs donnés…

Enjeu éthique, la question des devoirs à la maison semble prise dans des considérations tout autres que pédagogiques. Elle s’ancre plutôt dans un cercle d’adultes qui utilisent les devoirs comme un vecteur de communication. Il suffit de se remémorer les commentaires écrits sur les bulletins ou les échanges oraux lors de leur remise. Bon nombre d’élèves sont fustigés parce qu’ils ne travaillent pas assez à la maison, qu’ils n’apprennent pas leurs cours ou qu’ils ne font pas leurs devoirs.

Alors, si les élèves s’entêtent à ce point à mettre en tension leurs devoirs, face à leurs parents, face aux professeurs ou face aux autres élèves, comment l’enseignant peut-il réagir ? Doit-il poursuivre le jeu qui consiste à traquer en début d’heure les récalcitrants qui n’auraient pas fait leur travail, à force de croix rageusement tracées sur un cahier ? Ou décider de mettre un terme à cette farce à la Ionesco, pour s’assigner et assigner les élèves à des devoirs qui responsabilisent, mais, surtout, qui permettent d’apprendre ?

Les devoirs à la maison sont souvent donnés avec bonne conscience, pour développer la capacité de travail et d’autonomie de l’élève, pour le préparer aux classes supérieures, pour lui permettre de consolider ce qui a été vu en cours à l’aide d’exercices d’application ou, tout bonnement, pour apprendre… Certes, mais il convient de voir dans quelle mesure ils peuvent faire l’objet d’apprentissages en soi.

Travailler en classe pour mieux travailler

Une première expérimentation a été menée dans un REP+ de Saint-Denis 1 dans une classe de 6e en français. La question des devoirs a été envisagée selon une démarche d’apprentissage progressive. Il a tout d’abord été question de ne pas donner de travail personnel à la maison. L’enseignant peut alors prendre du temps en classe (en fin ou début d’heure) pour développer des démarches, des stratégies et des procédures d’apprentissage propres à la discipline. Puis, dans un second temps, c’est l’apprentissage des notions, puis des leçons, qui a été donné comme travail personnel à la maison. En complément, on prévoit un travail de révision en classe (en fin ou début d’heure). (Voir annexe 1 en fin d’article.) C’est enfin un travail de lecture et de recherche qui a été progressivement introduit comme devoirs, en lien avec les apprentissages en classe.

Que constate-t-on à l’issue de cette expérimentation ? Tout d’abord, une densité du travail en classe bien plus grande. Elle s’explique par l’absence des temps de flottement, relatifs à la vérification des apprentissages, des devoirs donnés ou de leur correction. Les élèves en classe travaillent l’heure durant, tous individuellement ou entre pairs, sans attendre que les bonnes réponses soient données par ceux qui lèvent la main.

C’est ensuite une stimulation intellectuelle qui s’est développée pour apprendre, seuls, puis entre pairs, puis collectivement – les élèves réalisent notamment des questions et les valident eux-mêmes.

On peut également observer une plus grande appropriation des enseignements par les élèves, qui développent – entre eux, puis à l’adresse du professeur – la pratique du questionnement (pour comprendre, pour vérifier, pour compléter ou pour approfondir les contenus du cours). Si bien que la question en évaluation n’est plus considérée comme un piège, mais comme un moyen de rendre compte de ses apprentissages. Les élèves parviennent même à comprendre les différents types et niveaux de complexité de questions que l’on peut poser pour vérifier la compréhension du cours.

On relève également un développement du travail entre pairs, puisque la vérification de la compréhension s’effectue entre camarades dans un premier temps, ce qui permet à tous les élèves de s’inscrire dans la démarche d’apprentissage et de mémorisation. Dans un second temps, il est possible de repasser à une vérification traditionnelle, à l’écrit et individuellement.

Dans un tel dispositif, le temps en classe est consacré aux travaux pratiques de lecture, d’écriture, de langue ou de recherche qui mettent à profit les connaissances que l’on vient de consolider. Les élèves, remobilisés et stimulés par leurs apprentissages, appréhendent avec plus de plaisir les tâches scolaires qui sont ensuite mises en œuvre lors d’une séance.

La classe inversée : repenser le travail personnel

« On n’apprend pas autant qu’on le croit en écoutant ou en regardant, en répondant de temps à autre à une question, on apprend plutôt en faisant soi-même », affirme P. Meirieu dans L’École, mode d’emploi. C’est forts de cette conviction que les adeptes de la classe inversée ont cherché à développer leur dispositif pédagogique. Ils proposent de repenser l’articulation entre le travail personnel en classe et le travail personnel hors classe.

Il s’agirait, non plus de recopier collectivement le cours en classe et de réaliser les exercices d’application à la maison, mais d’inverser le processus d’apprentissage. Celui consistant à s’exposer aux savoirs disciplinaires s’effectuerait en amont, à la maison (sous la forme de capsules vidéos ou de documents à lire). La résolution de problèmes, la problématisation et les activités d’apprentissage se réaliseraient en classe. Les élèves ne sont ainsi plus seuls face aux tâches complexes que contiennent souvent les devoirs.

Le principe de la classe inversée consiste donc à proposer un enseignement par compétences, qui vise l’appropriation des connaissances dans la résolution de problèmes proposés en classe. Elle repose donc essentiellement sur une pédagogie de l’activité (Y. Engeström) : on fait travailler les élèves en petits groupes hétérogènes à partir d’un travail problématisé qui s’appuie sur des outils préalablement donnés (notamment des connaissances).

« C’est en résolvant des problèmes que, de façon naturelle, on associe des connaissances », expliquent A. Taurisson et C. Herviou, dans Pédagogie de l’activité : pour une nouvelle classe inversée. Marcel Lebrun, pour sa part, est convaincu que : « L’école est à l’envers depuis des années ».

 

La classe inversée, ou flipped classroom en anglais, renvoie à un concept créé en 2008. Fondée sur une remise en question du cours magistral et de la place centrale de l’enseignant, elle propose un enseignement qui favorise l’autonomie des élèves, sans la présence permanente du professeur.

Elle repose ainsi, pour Marcel Lebrun, sur un « moteur à quatre temps » :

– une phase de contextualisation : recherche de documentation en amont (à la maison) ;

– une phase de divergence en classe (phase hypothético-déductive et conceptualisation de la problématique) ;

– une phase de recontextualisation (expérimentation active) (en classe) ;

– une phase de transfert (en classe).

Une classe inversée au collège : exemple concret

S’il s’agit de phases malléables selon les dispositifs d’apprentissage, ce dispositif vise à transformer l’enseignement linéaire en quelque chose de cyclique. Prenons l’exemple de M. Giordan, professeur de français, et de M. Laboudigue, professeur de mathématiques, au collège Roger Martin du Gard à Épinay-sur-Seine (93), lesquels utilisent ce dispositif depuis quelques années déjà.

Pour un cours sur les déterminants (démonstratifs et possessifs) en classe de 6e, les élèves ont visionné à la maison une vidéo qui leur a expliqué la nature d’un déterminant, ainsi que les différents types de déterminants possibles. Cette vidéo, courte et simple, est accessible sur le blog créé par le professeur et indiquée par la « fiche chemin » que les élèves reçoivent en début de séquence pour identifier leur parcours d’apprentissage. Ce parcours comprend vidéos et exercices, qui sont à visionner et réaliser en fonction des objectifs de la séance.

En classe, les élèves sont répartis par îlots de quatre. Ils visionnent à la maison une vidéo qui contient le cours . S’ils oublient de la consulter chez eux ou s’ils ne l’ont pas comprise, ils peuvent se rendre au poste informatique qui se situe au fond de la classe pour la visionner de nouveau. Le seul devoir que le professeur leur donne est de regarder la vidéo, puis de recopier la leçon – soit le contenu de la vidéo.

Dans les groupes de quatre, pendant la séance, les élèves réalisent les exercices qui sont indiqués sur leur fiche chemin à l’aide d’un manuel. Parfois il s’agit d’exercices conçus par le professeur.

Ce dispositif permet ainsi aux élèves de réinvestir les connaissances vues la veille à travers des exercices ou des projets, à l’aide des pairs, de manière collaborative. Surtout, ils peuvent être accompagnés en cas de difficultés, ou aller plus loin s’ils comprennent plus rapidement. Ainsi, les élèves performants peuvent aller vérifier la correction sur le blog pour ensuite poursuivre leur parcours d’apprentissage.

Chaque fiche chemin débute par une mise en évidence des acquis des élèves (« Je fais le point ») et s’achève par une évaluation qui clarifie les exercices ainsi que les notions à mobiliser.

Le professeur de mathématiques fonctionne de la même manière dans sa discipline. Néanmoins, en début d’heure, il effectue une mise en commun plus longue des éléments de savoir qui étaient à travailler à la maison.

Les avantages de la classe inversée

Lorsqu’un élève regarde ses cours en vidéo, il peut mettre en pause à tout moment et revoir un passage autant de fois qu’il le souhaite, pour être certain de l’avoir bien compris. Le support audiovisuel permet donc de travailler à son rythme. L’élève est aussi en mesure d’interroger les proches qui, grâce à ce support, peuvent se sentir plus légitimes pour intervenir. Le cours n’est plus un élément distinct du temps d’apprentissage hors classe.

De plus, l’élève peut prendre le temps de noter le cours avec soin, à son rythme. Il peut approfondir des notions grâce à des hyperliens proposés par l’enseignant. Le retour en classe étant consacré aux questions, l’élève se sent plus légitime encore pour interroger l’enseignant, chose qu’il osait moins faire en groupe classe lorsque le professeur exposait les savoirs. Le professeur est également plus disponible pour répondre aux questions, circuler dans la classe et accompagner ceux qui en auraient le plus besoin.

Ce dispositif favorise le développement de procédures et de stratégies de travail qui rendent l’élève plus autonome. Enfin, ce dernier peut pleinement profiter du cours pour travailler et non plus attendre passivement.

 

Annexe 1

Développer l’apprentissage du cours en classe de français – Rituel des apprentissages en classe (début ou fin d’heure)

  1. Lecture silencieuse, à la recherche des éléments de savoirs à mettre en lien pour les comprendre.
  2. Phase d’interrogation du cours et de la prise de notes (entre pairs, voire avec le professeur).
  3. Apprentissage autonome et silencieux (quelle que soit la méthode adoptée).
  4. Consolidation de l’apprentissage en binôme.
  5. Révisions entre pairs (îlots à quatre par quiz).
  6. Vérification collective entre élèves (ils réfléchissent aux types de questions : question fermée vrai/faux, question ouverte de définition, question ouverte d’explication, question de recherche).

Note :
(1) Collège I. Masih (La-Plaine-Saint-Denis). (retour au texte1)

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