Dès la 6e, il est possible et utile d’initier les élèves à une attitude réflexive par rapport à la langue et à ses usages. Lorsqu’on diminue la part des automatismes, on supprime la passivité des élèves et on crée une compréhension active des codes linguistiques qui fondent le rapport à l’institution scolaire et aux situations de communication.
Ainsi, le fait d’utiliser un lexique grammatical dont on explique précisément le sens général, puis la signification en grammaire, peut remotiver l’étude de la langue.
Engager une réflexion sur la langue comme mode de relation permet aussi aux élèves d’envisager différemment les situations de communication qu’ils rencontrent au quotidien et de mesurer les attentes qu’elles créent, aussi bien chez eux que chez leurs interlocuteurs.
Enfin, chacun peut réfléchir à son propre apprentissage des mots, afin de considérer ses acquis et de se rappeler que cet apprentissage, qui a une histoire, est aussi en devenir.
Expliquer l’usage des mots en grammaire
Parfois employés de manière automatique, les termes techniques de la grammaire (actif, passif, conjonction…) ont un sens courant ou une étymologie liés à leur signification grammaticale. Pour certains termes, ce lien entre sens courant et sens technique est difficile à faire comprendre aux élèves, par exemple pour le mot sujet ou pour la notion de complément d’objet. En revanche, pour d’autres, l’explicitation du sens peut vraiment aider à la maîtrise de la notion.
Ainsi ce qui concerne les voix sera-t-il mieux compris si l’on restitue aux mots passif, actif et agent leur signification. Des exercices sur les familles de ces mots et leurs emplois dans des phrases proposées et/ou à imaginer permettront de s’assurer que leur sens est bien compris.
Pour le complément circonstanciel, la décomposition du mot et l’explication du préfixe latin circum est éclairante. De même, on travaillera utilement sur les formations des mots adjectif, pronom, préposition, conjonction, antécédent, préfixe et suffixe.
Le double rôle (remplacer et relier) du pronom relatif est mieux compris si l’on décompose le mot pronom et que l’on fait chercher des mots de la famille de relatif.
On peut aussi inviter les élèves à réfléchir sur les désignations des modes : l’indicatif est opposé au subjonctif, qui renvoie à un rapport de dépendance d’une proposition sur l’autre. L’explication du terme attribut, dont le sens général est inconnu des élèves, fera comprendre pourquoi l’attribut en grammaire renvoie à la même personne ou la même chose que le mot qu’il complète. Pour les notions dont les noms ne sont pas directement compréhensibles, on pourra donner d’autres désignations pour peu qu’elles fonctionnent bien. Ainsi il est possible d’opposer les compléments essentiels aux compléments circonstanciels.
D’une manière générale, le simple fait de cesser de traiter les mots décrivant la langue comme des formules (le « céodé » !), et de leur restituer du sens, fait sortir la grammaire du formalisme et en motive l’étude.
Réfléchir sur la langue comme mode de relation
- Enseigner autrement les niveaux de langue
La distinction de trois niveaux de langue (familier, courant et soutenu) est, bien sûr, un découpage commode dans la diversité des distances qui peuvent séparer deux interlocuteurs. Mais il peut être utile de faire percevoir aux élèves que ces notions renvoient à des réalités complexes.
On peut, par exemple, montrer que pour un même niveau de langue il y a des différences : un adolescent s’adresse familièrement, mais différemment, à ses frères et sœurs et à ses camarades de classe. De même, un collégien n’est familier ni avec ses professeurs ni avec le principal de son collège, mais il marquera plus de distance polie à l’égard du second que du premier.
Le langage verbal est un des éléments qui marquent la distance entre deux interlocuteurs ; cependant il s’intègre dans un ensemble où jouent aussi l’attitude corporelle, la tenue vestimentaire et l’expression du visage.
En classe, on peut ainsi faire imaginer des phrases dites en tapant sur l’épaule de quelqu’un, en retirant sa casquette, en serrant la main de l’interlocuteur, en s’inclinant. C’est l’occasion de faire observer l’importance de la distance physique : quelle est la bonne distance dans tel ou tel type de relation ? Que se passe-t-il si elle n’est pas maintenue ?
On peut également montrer que dans certaines circonstances (cérémonie, présentation d’un spectacle, remise d’une récompense, passage d’un examen), les vêtements présentent des indices de « non-familiarité ». On s’interrogera sur ce que la tenue vestimentaire signifie dans ces cas. On peut jouer enfin avec les expressions du visage et l’attitude : regarder ou ne pas regarder son interlocuteur (les différences entre les cultures sur ce point sont intéressantes à interroger), sourire ou ne pas sourire.
Ainsi la notion de niveau de langue sera-t-elle comprise de manière plus vaste et liée à la réalité des situations de communication.
- La relation verbale entre adultes et enfants : un apprentissage
Une première prise de conscience pourra passer par des interrogations sur le tutoiement et le vouvoiement.
On pourra demander aux élèves qui ils tutoient et qui ils vouvoient, qui les tutoie et qui les vouvoie, aussi bien au collège que dans la famille, dans les relations amicales et sociales, ou dans l’apprentissage extrascolaire. On les invite à réfléchir sur la manière dont ces règles leur sont indiquées : est-ce implicite ou explicite ? Peuvent-ils expliquer ce que représente le vouvoiement pour eux ? On peut leur demander s’ils préfèrent être tutoyés ou vouvoyés par des adultes (professeurs, inconnus s’adressant à eux…).
On leur propose de s’interroger sur le moment du cursus scolaire où l’élève tutoie l’enseignant et sur le moment où le vouvoiement s’impose. Qu’apprend-on aux enfants lorsqu’on leur enseigne l’usage du vous ? La diversité des usages familiaux peut aussi être commentée.
Les modes de salut pourront faire l’objet de réflexions et de sketches : comment aborder et saluer un adulte ? On pourra questionner aussi les usages des adolescents et la question des règles des groupes.
La classe pourra réfléchir aux phrases dites par les professeurs au début d’un cours. On invitera les élèves à s’interroger sur leur fonction multiple : entrée en contact, rappel de la situation scolaire, captation de l’attention, inscription dans la démarche engagée dans les cours précédents. On pourra faire des exercices en invitant des élèves à prendre la place du professeur et à gagner l’attention de la classe.
Réfléchir à son propre apprentissage de la langue
- Histoire de ma langue
Il peut être utile de faire prendre conscience aux élèves qu’ils ont appris progressivement la langue qu’ils parlent, et qu’ils continueront à l’apprendre encore pendant plusieurs années. Pour ce faire, on leur demande s’ils se rappellent à quel âge ils ont acquis des mots comme : prudence, siècle, espèce, élément, responsabilité, produire, interrompre, désirer, assoiffé, indigné, satisfait, immense. Au début de l’école primaire ou à la fin ? Il y a plus de quatre ans ? Plus d’un an, moins ?
Les élèves sont ensuite invités à citer des mots qu’ils connaissent depuis très longtemps, puis, au contraire, cinq mots qu’ils ont appris depuis peu de temps. Ils doivent en expliquer le sens à un enfant âgé de sept ans.
Si certains élèves parlent couramment d’autres langues que le français, il peut être très intéressant de les faire s’exprimer sur ce point, s’ils le désirent. Les élèves peuvent donner des exemples de mots, les apprendre à la classe, dire pourquoi ils les ont choisis et parler ainsi de l’autre langue qu’ils maîtrisent.
- Les matières scolaires et la langue
Il est également possible de faire citer des mots liés à des matières scolaires comme les mathématiques, les SVT, l’histoire, le français, la musique…
On invite aussi les élèves à mentionner des mots dont ils ont appris le sens en dehors de l’école et on demande comment ils ont fait cet apprentissage.
Pour conclure, on les interroge sur leur stratégie lorsqu’ils sont confrontés à un mot qu’ils ne connaissent pas : ne font-ils pas de recherche, font-ils une recherche en ligne, une recherche dans le dictionnaire ou dans un livre ?
Se faire un carnet de mots
L’enseignant peut suggérer aux élèves la tenue d’un carnet de mots. Tous les mots qu’on veut peuvent y figurer, mots appris à l’école et hors de l’école, mots qu’on aime ou qu’on n’aime pas, mots français ou venus d’une autre langue, mots définis ou juste notés. Ce carnet peut être illustré et s’enrichir de commentaires. On peut dater les entrées, afin de se construire une histoire de son apprentissage des mots.
On peut même se faire « tueur » de mots, comme Cinoc, un personnage de Georges Perec dans La vie mode d’emploi : il est chargé de supprimer du dictionnaire les mots tombés en désuétude. Mais, à la différence de Cinoc, les élèves choisissent quels mots « tuer » et pourquoi.