Qu’est-ce qu’un bon film ? Répondre à une telle question, rassembler sous une même définition, Le Parrain II, L’Empire contre-attaque, Le Goût du saké et Les Valseuses, proposer des critères définitifs et immuables est peut-être ambitieux.
Qu’est-ce qu’une bonne adaptation ? Le problème est encore un peu vaste. Le Temps retrouvé de Raul Ruiz, Mort à Venise de Visconti, Lolita et Shining de Kubrick sont fascinants à bien des égards, mais on peinerait à leur trouver des points communs. Le critique qui oserait encore écrire : « Ceci est une bonne adaptation et cela n’en est pas une », paraîtrait doué d’une perspicacité qui ressemblerait fort à de l’incompétence, dirait Maupassant.
Il est sans doute plus aisé de savoir ce qu’est une bonne adaptation de film d’aventures : il divertit, surprend, époustoufle par moments ; les prouesses techniques, le jeu des acteurs, les décors, le bonheur ou l’angoisse nous soustraient pour quelques heures à nos ennuis quotidiens. Nous retrouvons nos émotions de jeune lecteur, quand, couché sur le ventre, nous lisions en trois jours Ivanhoé, L’Homme au masque de fer, Vingt mille lieues sous les mers.
Passons directement à la question posée par les nouveaux programmes : quelle adaptation de roman d’aventures étudier en classe ? Quelques critères guideront nos choix :
- L’œuvre doit être « de qualité », lit-on dans les instructions officielles, mais il y a deux œuvres, le roman et son adaptation, et les paires de chefs-d’œuvre sont rares. Ainsi la comparaison est cruelle entre Les Voyages de Gulliver de Swift, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll et leurs adaptations par Rob Letterman ou Tim Burton. A contrario, on a peut-être oublié que le merveilleux Big Fish de Tim Burton est l’adaptation du récit de Daniel Wallace, que Jurassic Park était d’abord un roman de Michael Crichton.
- Les œuvres doivent être adaptées à la classe de sixième : ainsi comparer Le Seigneur des anneaux de Tolkien et la trilogie de Peter Jackson serait enthousiasmant, n’était la longueur des romans et des films. Au cœur des ténèbres de Conrad et Apocalypse Now de Coppola sont à la fois prodigieux, modestes dans leurs proportions (cent cinquante pages, deux heures trente), et tout simplement terrifiants pour de jeunes élèves. Inversement, le professeur peut ne pas recourir de manière systématique aux œuvres destinées à la jeunesse. Charlie et la chocolaterie, Le Petit Nicolas et Cheval de guerre présentent certes des qualités mais des élèves de sixième peuvent supporter des boissons plus fortes.
- Les œuvres doivent être comparables. Les élèves, lors d’une étude de film, seront amenés à relever les points communs, les différences, et à chercher de secrètes références. Or, de nombreuses adaptations souffrent de trop de fidélité. Vingt mille lieues sous les mers de Richard Fleischer est une adaptation honnête, mais les dialogues sont ceux du roman, les épisodes suivent un même ordre, chaque turbine du Nautilus est à sa place : le réalisateur reste paralysé devant l’œuvre de Jules Verne. Or, les élèves ne sont pas des comptables, ni des vérificateurs, peu importe qu’il y ait bien quatorze boutons dorés sur le veston de Nemo. Il en va de même pour L’Histoire de Pi de Yann Martel et son adaptation par Ang Lee, pour les Narnia de C.S. Lewis et de Disney. A contrario, 2001 de Kubrick est tiré d’une nouvelle très réussie de Clarke… et ne présente presque aucun point de similitude.
- Or, il ne suffit pas de relever les différences, il faut encore les interpréter, comprendre que l’adaptation sert un projet esthétique, parfois politique, moral ou existentiel différent. L’intention, l’intentionnalité disent les critiques littéraires, du réalisateur doit différer de celle de l’écrivain. La Gloire de mon père de Pagnol et son adaptation par Yves Robert sont certes des réussites, mais le propos reste le même : la célébration enthousiaste et mélancolique de l’enfance. Il sera plus intéressant, peut-être, de comparer les différents Livre de la jungle, roman colonial ou hymne hippie à la douceur de vivre. Les adaptations des romans de Jules Verne (Le Tour du monde en quatre-vingts jours de Buzz Kulik notamment) en gomment parfois la dimension raciste.
Nous sommes ainsi devant un Rubik’s cube ou le carré magique de Kaldor. Ces critères sont à la fois nombreux et contradictoires : les deux œuvres doivent être de qualité, exigeantes et accessibles, semblables et différentes, et les différences doivent se prêter à l’interprétation. Ils ont guidé nos choix pour le manuel : Fantastic Mr. Fox est certes une adaptation du roman de Roald Dahl, mais aussi une reprise du Roman de Renart ; le film est destiné à la jeunesse, mais il évoque la cruauté insouciante de la famille, les pulsions de destruction communes aux bêtes et aux hommes ; les références au roman sont à la fois nombreuses et malicieuses ; le roman évoquait la société médiévale, le film se centre sur une contrée plus mystérieuse encore : l’adolescence. Il en va de même pour Pirates des Caraïbes. Le film multiplie les clins d’œil à L’Île au trésor, mais le grand roman d’aventures de R. L. Stevenson hésitait sans cesse entre le dévouement et le lâcher-prise, le goût de l’aventure et les responsabilités du jeune Jim. Le film, parodique, fantastique, gothique et queer par moments, célèbre la liberté et l’insouciance.
On aurait également pu étudier Bilbo le Hobbit et son adaptation, le roman d’aventures enthousiaste, émerveillé et le film épique et mélancolique. On aurait enfin pu comparer l’Odyssée et O’Brother, retrouver dans la fuite d’un petit escroc les errances d’Ulysse, rencontrer l’impatiente Penny, le cyclope, qui milite désormais au Ku Klux Klan, écouter enfin le chant de l’aède, devenu country, gospel, blues.