Tout lecteur attentif des nouveaux programmes, se demande inévitablement quelle serait l’œuvre qui croiserait à elle seule les cinq questions qui structurent chaque année du collège. En 5e, cette œuvre existe ! C’est le film de Peter Weir, Master and Commander, un récit de voyage et d’exploration, riche en figures héroïques et en amitiés solides, dans lequel l’homme est face à la nature. Accessible à des élèves de 5e, Master and Commander est de surcroît un grand film.
Par E. Leterrier, Professeur de Lettres Modernes
Master and Commander, signé et produit par le réalisateur américain Peter Weir en 2003 a constitué, dès sa sortie, la preuve éclatante s’il en fallait que le cinéma d’aventures maritimes était encore un genre susceptible d’honorer ses ambitions à la fois dans la qualité de la réalisation et le propos qui est le sien. Adapté d’un roman en trois volets de Patrick O’Brian paru au tournant des années 1970, Master and Commander évoque dans les années 1800 la mission de la frégate anglaise HMS Surprise, chargée de « couler, brûler, ou capturer » l’ Achéron, une frégate corsaire napoléonienne rivale, plus puissante et mieux armée, qui sème la terreur dans la marine baleinière britannique du Pacifique Sud.
Le film est d’abord la rencontre de deux figures héroïques. À la tête de l’HMS Surprise, le capitaine Jack Aubrey (Russell Crowe) est un meneur d’hommes courageux qui poursuivra au bout du monde le corsaire français, jusqu’à parvenir à le vaincre. Ce guerrier fait corps avec son navire, sur lequel il a versé tant de son sang que la Surprise « fait presque partie de sa famille ». Il croit en la domination de l’homme sur l’homme à la fois parce qu’il est militaire, mais aussi parce qu’elle seule permet de créer la paix sociale dont l’équipage apparaît comme le microcosme. Aubrey fascine l’équipage par ses récits mettant en scène Lord Nelson, parangon de l’héroïsme guerrier britannique.
Pourtant cette figure de héros trouve son opposé en la personne de Stephen Maturin (Paul Bettany), le chirurgien du bord et son ami intime, qui est aussi naturaliste. Le tempérament rousseauiste de Maturin le rend épris de justice sociale, d’égalité et de sciences, rétif à l’arbitraire, détestant la guerre et les châtiments corporels. Maturin incarne ainsi une sorte de savant visionnaire et pacifique, qui soupçonne le premier sur les Iles Galapagos, les théories darwiniennes de l’évolution : un héros du savoir, en somme.
Le film offre également une évocation puissante de ce groupe humain qu’est l’équipage, que le film représente traversé par des doutes ou des humeurs diverses, des envies de révolte, ou des mouvements d’enthousiasme. L’équipage comporte ses meneurs, ses faibles, ses victimes, et loin de la glorification du seul maître à bord qu’est Aubrey, le film laisse place ainsi à une description complexe de la psychologie collective et des interactions entre les hommes qui passe par des scènes fortes : suicide d’un officier dont tout l’équipage a fait un bouc émissaire (façon de revisiter au passage le mythe de Jonas), trépanation en public réalisée par Maturin à la stupéfaction des marins, traumatisme que représente pour le capitaine l’abandon à la mer de l’un de ses matelots.
S’il aborde la question de l’héroïsme et celle du groupe, Master and Commander est aussi évidemment un grand film d’exploration et de voyages. Sur les côtes du Brésil, où l’équipage du HMS Surprise mouille pour avitailler et réparer les dégâts infligés par l’ennemi, une flottille pittoresque accoste le navire avec son lot de produits exotiques et d’animaux étonnants. Mais c’est surtout la découverte des Galapagos, terres semi explorées à l’époque, qui permet au naturaliste du bord qu’est Maturin de recueillir des spécimens, d’étudier le relief, de collecter, dessiner ces raretés nouvelles, tortues géantes, fleurs inconnues et insectes camouflés… avant que ne le rappelle, trop vite, le devoir de la guerre. La précision scientifique de Maturin est souvent à l’image de la caméra de Peter Weir qui fait toujours de son film une épopée à hauteur d’homme, où les scènes de combats ont toute leur place, mais où la rigueur et le soin documentaire – lorsqu’il s’agit de recréer la vie des matelots à bord, des outils de l’époque, ou de suggérer les rigueurs du voyage – sont permanents.
Enfin, Master and Commander traduit l’évolution du cinéma d’aventure dans sa façon d’intégrer de nombreux échos de thèmes et de débats contemporains, notamment l’écologie. Les pérégrinations de l’HMS Surprise dans ces îles vierges que sont les Galapagos, le débat qui divise Aubrey et Maturin (exploration de ces îles inconnues contre impératif du service et appel du combat) fait aussi surgir dans le film une forme d’interrogation. La scène où les tortues des Galapagos, géants bien trop lents, ne parviennent pas à échapper aux marins montre de façon évidente l’agression de la nature par des hommes irresponsables. Celle où un membre de l’équipage tente d’abattre un albatros… et blesse grièvement le chirurgien Maturin, mettant ainsi tout l’équipage en péril, le confirme : cette scène montre surtout comment l’agression pourrait se retourner vite en dommage. Mais c’est surtout le fait que la victoire finale du HMS Surprise sur l’Achéron soit le résultat non pas de la stratégie militaire d’Aubrey mais de celle de l’observation par Maturin d’un petit insecte insulaire qui donne à la question des rapports entre l’homme et la nature une réponse pleine d’humour.