La parution récente d’un essai critique sur Le Corbusier (Olivier Barancy, Misère de l’espace moderne), qui fait suite à l’inscription, à l’été dernier, d’une partie des réalisations de l’architecte au patrimoine mondial, invite à faire découvrir cette œuvre importante aux élèves mais aussi à les engager à une réflexion critique plus large sur le logement et le cadre de vie, dans une perspective architecturale et urbanistique, esthétique et sociale, qui peut par exemple prolonger le chapitre sur la ville proposé dans le manuel de 4e.
Le Corbusier est en effet devenu une référence incontournable de l’architecture du XXe siècle : son inscription en 2016 au patrimoine mondial de l’Unesco marque l’aboutissement de sa consécration. Mais il est aussi une référence contestée, à la fois pour des positions politiques troubles liées à son soutien au fascisme et à sa collaboration avec le gouvernement de Vichy, et pour ses conceptions architecturales elles-mêmes. On se propose ici de faire découvrir aux élèves les principes défendus par Le Corbusier et quelques-unes de ses réalisations, puis de les faire réfléchir à la fois au processus de consécration de l’architecte et aux contestations dont il fait l’objet.
Consécration et contestation
Le Corbusier est sans doute aujourd’hui le premier nom d’architecte qui vient à la bouche de nos contemporains, et peut-être de nos élèves, même s’il n’avait pas le diplôme d’architecte qui est normalement une nécessité pour se prévaloir du titre (on peut en profiter pour faire réfléchir les élèves aux métiers et aux titres qui y renvoient, et notamment à ces professions réglementées qui requièrent un droit d’entrée).
Il a fait l’objet de publications extrêmement nombreuses (plus de 400), dont la plupart ont fait l’éloge de son inventivité. Peut-être le CDI de votre établissement ou la bibliothèque municipale voisine en contiennent-ils certaines, que vous pourrez inviter vos élèves à consulter.
L’inscription de dix-sept de ses réalisations au patrimoine mondial de l’Unesco en juillet 2016 marque l’apogée de sa consécration (on pourra faire faire une recherche rapide sur ce « patrimoine mondial » en divisant le travail par aires géographiques ou par types de biens culturels).
Depuis quelques années se font entendre quelques voix dissonantes dans ce chœur de louanges. On reproche à Le Corbusier ses liens avec le fascisme et parfois ses partis pris architecturaux eux-mêmes – déjà contestés du reste antérieurement. Dans un petit livre tout récemment publié par les éditions Agone, Misère de l’espace moderne : La production de Le Corbusier et ses conséquences, l’architecte Olivier Barancy dénonce ce qu’il considère comme une imposture, à savoir le travail discursif d’autopromotion qui a permis l’accès de Le Corbusier au panthéon des architectes, pour une œuvre architecturale qui a eu une influence considérable sur la construction au XXe siècle, mais dont l’auteur entend démontrer les faiblesses et les effets délétères.
Entrer dans la vie et l’œuvre de Le Corbusier
Le site de la fondation Le Corbusier permettra d’explorer l’œuvre de l’architecte :
On pourra projeter des photographies et inviter les élèves à indiquer et à analyser la manière dont ils perçoivent et ressentent les bâtiments photographiés.
Une vidéo donnera un aperçu global de la biographie de Le Corbusier (on pourra aussi choisir des extraits) : https://www.youtube.com/embed/NW-ugB10Xd4 »
ou de son œuvre architecturale : https://www.youtube.com/embed/bFUIVcjBBqE »
https://www.youtube.com/embed/6GuvuBYiBw8 »
Le Corbusier, architecte français ?
Celui que l’on connaît comme le plus grand architecte français est né en Suisse, à La Chaux-de-Fonds, sous le nom de Charles-Édouard Jeanneret, avant de s’installer à Paris, de publier sous le pseudonyme de Le Corbusier et d’obtenir la nationalité française. Ces éléments biographiques peuvent ouvrir la voie à quelques réflexions sur l’usage du pseudonyme (dans l’art et la littérature, mais aussi dans d’autres espaces comme les réseaux sociaux) ou sur la consécration d’artistes francophones en France qui escamotent leur pays de naissance (on pourra faire réfléchir à d’autres cas comme Georges Simenon, Henri Michaux ou Amélie Nothomb, et approfondir la question en se référant aux travaux de Pascale Casanova, notamment à La République mondiale des lettres, publié aux éditions du Seuil en 1999).
Une architecture de la modernité
Le Corbusier synthétise un ensemble de traits innovants, souvent empruntés à d’autres, qui font de lui un architecte de la modernité, refusant toutefois l’avant-garde de manière à conserver l’assentiment des industriels et des financeurs. Il développe ses principes dans un grand nombre de publications assez simples pour pouvoir être largement vendues, et dans de multiples conférences à travers le monde. Il récapitule en 1927 ce qu’il pose comme les cinq piliers de l’architecture nouvelle, même si certains d’entre eux, notamment les deux premiers, sont déjà présents dans certaines formes d’habitat traditionnel : 1°) les pilotis ; 2°) les toits jardins ; 3°) le plan libre ; 4°) la fenêtre en longueur ; 5°) la façade libre.
Une manière d’assurer le « plan libre » et la « façade libre » est l’usage du béton armé (déjà utilisé par Auguste Perret) : l’ensemble ne repose plus sur des murs porteurs mais sur la structure en béton armé et notamment sur des poteaux. Il crée ainsi une architecture d’ordre et de lumière.
On pourra faire travailler les élèves à partir de la fiche jointe pour leur faire voir ces principes en acte et leur faire découvrir l’œuvre architecturale multiforme de Le Corbusier (Voir la fiche : Le Corbusier et la modernité urbaine)
Cité radieuse ?
Une des réalisations le plus spontanément associée à Le Corbusier est organisée autour des « cités radieuses » qui entendaient constituer un nouveau modèle d’habitat collectif, et qui sont aussi sans doute la partie la plus décriée de l’œuvre du créateur, vue comme précurseur des grands ensembles périurbains souvent dégradés et ghettoïsés.
On pourra faire réfléchir et écrire les élèves, par petits groupes, sur ce que serait pour eux une « cité radieuse ».
Approche critique
Olivier Barancy propose une approche critique de l’œuvre de Le Corbusier. Il met en évidence l’écart entre les projets plus ou moins utopiques et leurs réalisations, qui posent souvent certains problèmes concrets. On pourra, à partir de là, amener les élèves à réfléchir aux éléments constitutifs d’un projet architectural. Inspiration et créativité n’en sont qu’un élément (on pourra faire réfléchir à la manière dont des artistes s’imprègnent de ce qui préexiste et s’en inspirent, montrant qu’il n’y a souvent pas d’innovation sans culture). On pourra sensibiliser la classe à l’ensemble des contraintes qu’un architecte doit intégrer : celles liées au budget et au temps (les réalisations de Le Corbusier tenaient très rarement les calendriers et les prévisions budgétaires), celles liées à l’environnement, notamment au climat (les toits terrasses par exemple sont plus adaptés au climat méditerranéen ou à des climats relativement secs ; certains matériaux se dégradent avec l’humidité ou l’air marin ; les paramètres énergétiques sont à prendre en compte pour des raisons également économiques), mais aussi à l’urbanisme (les bâtiments de Le Corbusier semblent parfois suspendus dans l’espace urbain, dont ils n’épousent pas les lignes), et enfin et surtout celles liées aux usages.
Le Corbusier parlait de la maison comme d’une « machine à habiter » mais ses constructions intègrent mal les désirs et habitudes des habitants (pouvoir accéder de plain-pied à un jardin, pouvoir installer ses meubles dans son logement, pouvoir ouvrir les fenêtres). L’architecte a-t-il vocation à définir lui-même un nouvel art d’habiter ou à rendre possible la vie que s’imaginent les gens ? Un bâtiment qui n’a pas intégré les contraintes environnementales et les usages souhaités n’a-t-il pas vocation à se dégrader et à être abandonné ? La réflexion pourra s’appuyer sur les espaces de vie des élèves et sur d’autres qu’ils ont pu rencontrer par exemple en voyageant ou en allant chez d’autres personnes. On pourra aussi prendre le cas d’espaces collectifs comme le collège et inviter les élèves à réfléchir aux usages que tel ou tel choix rend possibles ou impossibles.
Poésie de l’espace urbain et de l’architecture
On pourra aisément rattacher cette étude au chapitre sur la ville en proposant la lecture du poème de l’angle droit de Le Corbusier (1955).
On pourra aussi faire écrire des textes libres ou des poèmes à partir de la très belle iconographie du recueil reproduite sur le site de la fondation, par exemple en proposant à chaque élève de choisir une des images.
Pour aller plus loin en classe, consultez la fiche : Le Corbusier et la modernité urbaine