Un rêve totalitaire anime l’école. Il faudrait que tous les élèves se concentrent en même temps sur la même tâche. Image d’Épinal de la classe récitant en chœur la première déclinaison sous l’œil hautain et ravi d’un barbichu assis. Il n’en va pas toujours tout à fait ainsi : certains, dont rien ne semble entraver la disposition au travail, ont collé la feuille, lu la consigne avant même qu’on l’ait demandé, quand d’autres n’ont pas achevé, qui le massacre d’un crayon, qui un dessin, et ont déjà perdu la feuille qu’on vient de distribuer… L’une joue déjà sa partition quand l’autre cherche dans quel sens on prend le violon. Voici une modeste proposition pour tenter de faire ressaisir à la classe son caractère de collectif humain, et surtout, de le lui faire agréablement éprouver. Nous tentons d’instaurer de façon régulière, presque rituelle, cette façon de lire les textes :
- Lit qui veut, le professeur ne désigne pas et participe à l’exercice.
- Si deux personnes lisent en même temps, l’un cède vite la parole à l’autre.
- Tout le monde doit lire au moins une fois.
- On ne reprend pas la parole avant que chacun n’ait lu au moins une fois.
Avec un texte en prose, chacun s’occupe d’une phrase et doit donc s’arrêter lorsqu’il y a un point. On peut déclarer qu’un point d’interrogation ou d’exclamation ne constitue une marque forte que s’il est suivi d’une majuscule.
Il va sans dire qu’un texte en vers se prête encore mieux à l’exercice : chacun lit un vers. S’il s’agit d’un texte en vers régulier, s’ajoute le défi de bien prononcer le vers. L’exercice peut être prolongé par un travail de mémorisation : chacun, ayant appris son vers, doit aussi connaître celui qui précède afin de le réciter au moment opportun. Au fil du temps, la récitation du poème peut devenir un rituel de début de cours ou de fin de semaine. On peut imaginer qu’à la fin de l’année, les élèves connaîtront, de façon collective, plusieurs poèmes, et seront en mesure de réciter le vers des absents du jour. Il est aussi possible, si le texte s’y prête, de demander aux élèves de lire une phrase chacun, cela peut permettre de mettre en valeur certains procédés (hétérométrie, rejets et contre-rejets), certains rythmes, ou des effets de discordance entre le mètre et la syntaxe.
On remarque généralement une forte adhésion des élèves à ce type d’exercice, car le collectif s’éprouve dans une production réglée et ordonnée ; le temps d’un texte, la parole est un relais qu’ils ont pour mission de faire aboutir.
Autant voire plus qu’un exercice de lecture, il s’agit d’un exercice d’écoute. Il est presque certain que cet exercice n’est pas la meilleure façon de prendre connaissance et de comprendre un texte inconnu, et ne se substitue nullement à d’autres façons de lire : lecture silencieuse, lecture par une ou un volontaire, par le professeur, etc. De même qu’elle peut constituer une activité d’AP détachée du cours, la lecture chorale peut venir à la suite d’une étude de texte, pour en approfondir la compréhension.