Avec les programmes qui accompagnent le nouveau collège, de nouveaux mots apparaissent, porteurs d’enjeux inédits. D’autres, qui figuraient dans les anciennes instructions, voient leur sens renouvelé, et prennent un relief singulier. Sous cet angle, une lecture attentive des programmes du collège permet de faire émerger 20 mots clés.
Nous en abordons sept dans cet article.
Par Alexandre Winkler, de l’académie de Grenoble
AP – Attendus – Autonomie – Compétences – Compréhension – Culture – Cycles – EPI – Entrées – Interactions – Littératures – Mémorisation – Normes – Oral – Orthographe – Parcours – Posture – Progressivité – Projet – Thématiques
AP
L’accompagnement personnalisé (AP) fait partie, avec l’enseignement pratique interdisciplinaire (EPI), des dispositifs promus par les nouveaux programmes. Toutefois, il ne s’agit pas d’une entière nouveauté ; non seulement l’AP est déjà présent en 6e, mais encore les enseignants sont déjà familiers des objectifs de remédiation et d’approfondissement qui y sont déjà en vigueur. Le « nouvel » AP présente en réalité une innovation majeure, outre le fait qu’il est généralisé au cycle 4 : désormais intégré au volume hebdomadaire du cours de français, il se veut clairement comme un espace où poursuivre le cours et continuer le traitement du programme – alors que, précédemment, cette coloration disciplinaire était nettement moins affirmée, l’accent étant mis sur les compétences transdisciplinaires. À présent que cette ambiguïté n’existe plus, il est possible de résumer sa vocation comme suit :
En premier lieu, les heures d’AP permettent aux enseignants d’effectuer un retour sur les apprentissages, non pas pour évaluer les élèves, mais pour permettre à ces derniers de revenir sur le parcours qu’ils ont emprunté sous la direction de leur professeur. En leur donnant l’occasion de porter leur réflexion sur les éventuelles difficultés qu’ils rencontrent, les questions que les corpus suscitent ou les éventuels développements qu’ils appellent, l’AP fait des processus d’apprentissage un enjeu réel. Dit autrement : l’élève, et non le programme, est désormais une priorité.
En second lieu, l’AP s’affirme comme le champ d’application de l’approche différenciée, dès lors que, pour une classe donnée, plusieurs groupes d’élèves se dessinent, sur la base du niveau de maîtrise des savoirs et des connaissances. Outre les possibilités de travail « en îlot », l’AP sera, dès lors, l’occasion d’approches moins conventionnelles, allant de la co-intervention à la constitution de groupes de compétences interclasses, sans oublier la possibilité de leur accueil au CDI, pour un accompagnement par le professeur documentaliste.
ATTENDUS
L’organisation des enseignements sous la forme de cycle de 3 ans introduit une marge de souplesse dans la mise en œuvre des programmes. À la place d’une structure « feuilletée », décrivant pour chaque année les contenus d’enseignement, des « attendus de fin de cycle » sont affichés. Sans se résumer strictement à des objectifs à atteindre, ils constituent un horizon vers lequel doivent tendre les stratégies pédagogiques.
On se souvient que les programmes de 2008 décrivent cinq champs d’activité (« langue », « lecture », « expression écrite », « expression orale », « histoire des arts ») ; la nouvelle formule reprend plus ou moins ces formulations, mais en les précisant ; ainsi il est rappelé que lire est aussi avoir accès à un contenu (« lecture et compréhension de l’écrit »), les activités orales et écrites sont envisagées de manière globale (« langage oral », « écriture ») ; quant à l’histoire des arts, elle reste solidement affirmée dans la « culture littéraire et artistique ».
Enfin, l’abandon de l’approche annualisée ne prive pas pour autant les enseignants de « repères de progressivité » ; ces derniers sont énumérés avec précision après l’exposé des connaissances et compétences associées. Ils développent, en les détaillant, les attendus décrits plus haut.
AUTONOMIE
Permettre aux élèves de gagner en autonomie est une préoccupation des nouveaux programmes. Les difficultés que rencontrent les élèves, notamment les plus fragiles, dans la manipulation des éléments de savoir ou la mise en œuvre des compétences, donnent à cette préconisation une actualité singulière, pour ne pas dire urgente. Ainsi, cette recherche d’autonomie est-elle assez fortement articulée à l’écrit, dans sa production ou sa réception – qu’il s’agisse de gagner en autonomie dans ses capacités de lecture, dans son aptitude à effectuer le choix d’un ouvrage « selon ses goûts et ses besoins », ou dans les différentes étapes de l’élaboration de ses propres écrits.
À l’arrière-plan de ce programme se retrouve évidemment un projet d’individu capable d’un raisonnement équilibré, et prenant appui sur les termes adéquats pour mettre en forme sa pensée. Cette incitation entre en résonance avec certains faits d’actualité, plusieurs parties du corpus littéraire invitant l’élève à se pencher sur les problématiques de liberté et d’aliénation. Ainsi, en 5e, l’entrée « Avec autrui : famille, amis, réseaux » amène clairement l’élève à « s’interroger sur le sens et les difficultés de la conquête de l’autonomie au sein du groupe ou contre lui ».
COMPÉTENCES
L’évolution du socle de compétences n’a pas attendu la publication des nouveaux programmes ou la divulgation du prochain livret scolaire – ces deux éléments étant entre eux fortement interdépendants. Par ailleurs – et alors même que s’amorçait l’élaboration des textes programmatiques –, des propositions étaient formulées, sur ce thème, par la Conférence nationale sur l’évaluation : cette influence est palpable dans le résultat final. Dans un souci de clarté, la situation peut se résumer comme suit :
1 – Le référentiel de compétences est, à partir de la rentrée 2016, le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ce document organise les compétences selon cinq « domaines », nettement plus interdisciplinaires.
2 – Ce référentiel est désormais intégré au livret scolaire. Il y apparaît à deux niveaux : d’une part dans les bulletins trimestriels (ou semestriels), sous la forme d’un bilan synthétique de « l’acquisition des connaissances et compétences » ; et, d’autre part, en fin de 6e et de 3e, sous l’aspect d’un bref tableau de « maîtrise des composantes du socle en fin de cycle ». Ce tableau présente quatre niveaux de graduation, allant de « maîtrise insuffisante » à « très bonne maîtrise », en passant par « maîtrise fragile » et « maîtrise satisfaisante ». S’il reprend chacun des domaines, ce tableau développe le premier (« les langages pour penser et communiquer »), qu’il décline en quatre items ; au total, huit compétences sont donc évaluées. Ajoutons qu’en fin de 3e, les niveaux atteints dans ces domaines sont convertis en points ; ils viennent s’ajouter aux notes du contrôle continu, et à celles des examens finaux.
3 – Omniprésentes dans le nouveau programme, les compétences se retrouvent, là encore, en différents points. Pour commencer, le chapitre concernant le français s’ouvre sur une présentation des « compétences travaillées », empruntées au nouveau socle, reformulées et simplifiées : « comprendre et s’exprimer à l’oral », « lire », « écrire », « comprendre le fonctionnement de la langue » et « acquérir des éléments de culture littéraire et artistique » (en cycle 4). Cet aperçu est approfondi par le « volet 2 » du programme, qui décrit la « contribution essentielle des différents enseignements au socle commun » ; les cinq domaines y sont méthodiquement passés en revue – et la confirmation que le français a sa place en chacun d’eux est définitivement apportée, y compris pour le domaine 4, pourtant consacré aux « systèmes naturels et [aux] systèmes techniques ». Enfin, un ultime degré d’étoffement est apporté par les tableaux détaillant le contenu de chacun des cinq champs d’activité (« langage oral », « lecture et compréhension de l’écrit et de l’image », « écriture », « compétences linguistiques » et « culture littéraire et artistique »). Les « connaissances et compétences associées » y sont l’objet de présentations épuisant pratiquement le champ des possibles pédagogiques.
4 – L’approche par compétences est donc entérinée et systématisée dans l’enseignement du français, et les nouvelles postures pédagogiques qu’impliquent l’accompagnement personnalisé (AP) ou l’enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) la prennent pour appui.
COMPRÉHENSION
En regroupant dans un seul champ d’activité le fait de lire et de comprendre, les rédacteurs du programme formulent une exigence peut-être évidente, mais nécessaire. En effet, pour nombre d’élèves, décoder un signe n’implique pas forcément saisir son sens. En conséquence, tout doit être mis en œuvre pour que l’accès au contenu littéral soit prioritairement garanti. Pour cela, le programme propose au moins deux points d’appui.
Le premier réside dans les heures d’accompagnement personnalisé (AP), lesquelles invitent à revenir aux textes étudiés en classe, pour en vérifier la bonne intelligence. Les élèves pourront mettre à contribution ce moment particulier pour verbaliser les difficultés qu’ils auront rencontrées au gré de leur parcours de lecteur.
Le second réside dans l’organisation même du programme, et notamment dans l’approche du champ « culture littéraire et artistique ». Revenant une fois pour toutes sur l’approche par genres qui structure jusqu’à présent la progression annuelle, le nouveau programme propose d’appréhender le corpus selon des « entrées » d’ordre anthropologique intéressant la littérature dans son rapport à l’individu dans le monde. Cette approche permet d’interroger l’œuvre non plus dans sa capacité à illustrer une catégorie littéraire, mais pour le sens dont elle est porteuse, et dans son aptitude à donner accès à des questionnements encore plus vastes – tels qu’ils seront, par exemple, poursuivis au lycée.
CYCLES
La réforme des cycles scolaires va de pair avec la refondation des enseignements. Jusqu’à présent, le collège comporte trois cycles : cycle d’adaptation (6e), cycle central (5e, 4e) et cycle d’orientation (3e). À partir de la rentrée 2016, la 6e est la dernière année d’un « cycle de consolidation » ; quant aux niveaux 5e, 4e et 3e, ils constituent désormais le « cycle des approfondissements ». Les singularités qui caractérisent l’ancien système disparaissent, telles que ces années (6e ou 3e) faisant cycle à elles seules, ou cet enjeu de l’orientation n’apparaissant que dans la dernière année de collège, c’est-à-dire un peu tard.
Plusieurs objectifs sous-tendent cette reconfiguration, strictement triennale. Le premier correspond à une recherche d’efficacité : sur trois années, il est possible de construire une progression satisfaisant aux caractéristiques des élèves d’un établissement donné ; le second répond à la recherche d’une continuité des apprentissages – en l’occurrence, continuité entre niveau primaire et secondaire pour le cycle 3.
Cette nouvelle disposition amène les enseignants à entretenir un rapport nouveau aux programmes. En l’absence de fortes prescriptions annuelles dans les champs d’activité habituels – « langue », « lecture », « expression écrite », « expression orale », « histoire des arts » –, ils sont amenés à donner un sens – c’est-à-dire un contenu organisé – à ce cycle de trois ans. C’est, en l’occurrence, l’enjeu du curriculum, au niveau du cycle 4.
ENSEIGNEMENTS PRATIQUES INTERDISCIPLINAIRES
Beaucoup plus précis que celui de l’AP, le cadrage prévoit une mise en place au niveau du cycle 4 seulement, à raison de 72 heures annuelles par élève, ce dernier devant avoir participé à au moins six EPI, entre la classe de 5e et de 3e – à ce moment, l’un d’entre eux pourra être l’objet d’une présentation orale dans le cadre du diplôme national du brevet (DNB). Enfin, le contenu doit procéder de huit thématiques, leur choix relevant d’une décision propre à chaque établissement. Toutefois, pour en bien apprécier les enjeux, c’est à l’acronyme qu’il faut s’intéresser.
L’enseignement qu’il s’agit de proposer reste celui de la discipline concernée par l’EPI choisi localement ; loin de proposer un contenu où viendrait se dissoudre la spécificité disciplinaire, le professeur de français impliqué ne cesse à aucun moment de traiter son programme, et de poursuivre ainsi sa progression annuelle – à preuve, les heures d’EPI sont, comme pour l’AP, intégrées au volume hebdomadaire du cours de français. On peut ajouter à cela que la logique de l’EPI demeure, grosso modo, celle de la séquence, à ceci près que son issue est différente.
L’EPI débouche sur une réalisation pratique – impliquant des phases de recherche, d’écriture, d’élaboration, dans la perspective d’une progression finale évaluée, là encore disciplinairement. Pour cette raison, l’EPI s’affirme comme le lieu privilégié de la pédagogie de projet, impliquant en amont un programme d’activités, un volume d’heures dédiées, ainsi qu’un objectif clairement identifié – le tout, en collaboration avec le ou les collègues des autres disciplines engagées dans le projet.
La dimension interdisciplinaire qui est ici à l’œuvre se définit comme le regard croisé de plusieurs domaines sur un objet unique, inscrit dans l’une des huit thématiques déjà évoquées. La difficulté – car il y en a une – est donc de définir, à l’intérieur de ce cadre, une problématique d’EPI permettant un rapprochement avec une autre discipline, et ce, sans jamais cesser de traiter son propre programme. Ainsi, un EPI « langues et cultures de l’Antiquité » dont la problématique sera « Comment construit-on une pyramide dans l’ancienne Égypte ? » donne au professeur de lettres classiques l’occasion de travailler sur un passionnant corpus d’auteurs grecs et latins, tout en permettant à son collègue de mathématiques d’explorer les propriétés de ce singulier polyèdre conique.
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