Et si on invitait un écrivain en classe ?

Arts et Culture, Littérature au collège - 4 avril 2018 par Cécile Rabot

Avez-vous déjà pensé à inviter un écrivain dans une de vos classes ? C’est une ouverture qui vous attire, vous voyez bien l’intérêt que cela peut comporter pour vos élèves, mais vous n’avez pas encore osé passer à l’acte ? Voici quelques pistes pour une rencontre réussie.

Désacraliser ?

À force d’étudier des textes détachés de leurs auteurs (ou de leurs autrices), nombre d’élèves finissent par oublier qu’ils sont les productions d’écrivains et d’éditeurs, d’écrivaines et d’éditrices. Il s’agit de personnes bien réelles, prises, comme chacun et chacune d’entre nous, dans des contraintes de tous ordres, animées aussi de désirs – et d’abord celui de dire quelque chose au monde. Or trop souvent, l’auteur des textes étudiés en classe est absent, voire toujours déjà mort. S’il est évoqué, c’est comme un être hors du commun, désincarné, dégagé de toutes les préoccupations qui sont les nôtres et, en quelque sorte, sacré (1). Détaché de son contexte de production et de réception, le livre « s’ontologise », selon les mots de Philippe Meirieu (2), c’est-à-dire qu’il devient un objet immuable, qui semble avoir toujours été là et qui appelle la vénération.

Du travail de l’éditeur, de la fabrication du texte et du livre, on ne parle guère ; pas plus que du rôle des instances de diffusion et de consécration, qui participent à construire la valeur de l’œuvre et la figure du « grand auteur ». De l’auteur lui-même, on ne dit souvent rien qui permette à l’élève d’envisager la réalité de sa vie et de son métier. C’est que ce que Pierre Bourdieu a nommé l’illusio du champ littéraire (3), cette croyance dans la valeur et dans un génie qu’on ne peut qu’admirer, repose largement sur ce silence (4).

Un écrivain en chair et en os

Invité dans la classe, l’écrivain s’incarne. Il n’est plus un nom propre abstrait, mais un être de chair et d’os, dans lequel il devient possible de se projeter. L’auteur devient soudain une personne (5). On imagine donc lui poser des questions personnelles, mais aussi pratiques, sur ce qu’il fait, sur la manière dont il écrit, organise sa vie, choisit ses thèmes, dessine ses personnages, travaille avec son éditeur, etc. La boîte noire de la production de l’œuvre s’ouvre enfin.

C’est un homme ou une femme comme les autres qui livre ses problèmes, ses doutes — ses convictions ou ses certitudes aussi. Confier ses réflexions, ses hésitations, ses remaniements rend le texte (ou l’image) à la fois plus réel, plus humble et tout à coup accessible : le créateur n’est pas un démiurge génial mais un artisan. Mieux : il répond aux questions sur son travail, il en démonte les mécanismes et justifie un savoir-faire, fruit d’un long labeur fait d’ébauches successives (6).

L’écriture apparaît comme un métier, avec ses apprentissages et ses compromis, sa temporalité irrégulière et ses contraintes, ses joies et ses déceptions. Un métier pour partie solitaire, pour partie fait d’interactions : avec des proches, des pairs, des éditeurs qui nourrissent le texte de leurs lectures et de leurs conseils, avec des lecteurs et lectrices qui voient dans l’œuvre des choses qu’on n’avait pas eu conscience d’y mettre, avec des journalistes, des bibliothécaires, des libraires et d’autres médiateurs, qui participent à construire la visibilité de l’œuvre, en même temps que sa signification et sa valeur.

Apprendre l’écriture

Rencontrer un auteur, c’est d’abord permettre aux élèves de parler avec lui de la manière dont il a écrit son livre ou ses livres. De manière plus générale, mais à travers un cas très concret, on peut parler de ce que c’est qu’écrire. Et cela peut être très important pour des élèves plus ou moins à l’aise avec l’écriture, surtout pour celles et ceux qui se croient incapables d’écrire. « Il y a une réflexion à mener avec [l’auteur] pour montrer qu’un texte ne naît pas dans sa perfection finale », souligne Philippe Meirieu.

Discuter du processus d’écriture, c’est comprendre qu’un texte a souvent été remis cent fois sur le métier. Que l’écrivain lui-même, qui nous paraissait infiniment doué, a hésité, douté, bloqué, recommencé, corrigé. Qu’il a souffert aussi devant la fameuse page blanche, qu’il a vécu des angoisses existentielles, qu’il a parfois désespéré d’arriver jamais à écrire, à être compris, à être publié. Qu’il lui a fallu persévérer, y croire et travailler, toujours. Pour des élèves qui doutent eux-mêmes de leurs capacités, il est souvent rassurant de constater que le doute nous est commun et que l’œuvre ne naît qu’à force de ténacité et de foi.

Le contemporain,
une invitation au dialogue

Inviter un auteur, c’est bien sûr prendre le risque du contemporain, c’est-à-dire oser s’aventurer en dehors du canon. Si elle n’est pas encore passée par tout le processus de sélection, de reconnaissance et de perpétuation qui fait un classique (7), la littérature contemporaine n’en comporte pas moins des pépites qui méritent qu’on s’y intéresse. Certes, on n’a pas encore de certitude sur la manière dont les titres qui circulent aujourd’hui seront perçus dans quelques décennies. Mais faut-il s’en tenir aux œuvres du passé, au motif qu’on ne sait rien de l’avenir ? La littérature contemporaine présente un intérêt majeur : elle autorise une discussion que le statut du classique tend à rendre impossible. Elle permet aux élèves de s’approprier la littérature comme une création appelant l’échange, le partage, parfois la critique et souvent d’autres créations.

Au fond, vous vous trouvez devant Les Contemplations de Victor Hugo comme devant une espèce d’œuvre close, labellisée comme un chef d’œuvre. La seule chose que vous puissiez faire, c’est du commentaire dans lequel vous êtes contraint de justifier ce statut de chef d’œuvre, sur le plan stylistique ou sur le plan du contenu. L’œuvre contemporaine, précisément parce qu’elle n’a pas ce statut, met l’élève dans une situation de dialogue plus facile (8).

 


Quelques pistes pour sortir des sentiers battus et dénicher un auteur

Les bibliographies sélectives permettent aussi de repérer des livres d’aujourd’hui susceptibles d’intéresser vos élèves. Par exemple :

Et bien sûr les bibliothèques, CDI et librairies sont d’autres précieux lieux de découvertes. Bibliothécaires, documentalistes et libraires peuvent vous aider par leurs conseils.


Créer l’attente
pour faire jaillir l’inattendu

De nombreuses formes de rencontres sont possibles. Chacun pourra inventer celle qui convient le mieux à ce qu’il est, au point où il en est et où en sont ses élèves, au contexte dans lequel il enseigne. Ce qui ressort comme une règle à peu près générale d’une série d’entretiens menés avec des auteurs et des organisateurs de rencontres (9), c’est que la visite de l’écrivain doit être préparée en amont. La principale raison pour laquelle une rencontre est vécue comme un échec, c’est-à-dire un moment de frustration, souvent de part et d’autre, c’est l’impréparation : l’auteur arrive dans la classe sans y être attendu. Les élèves ne savent parfois même pas qu’il va venir. Ils n’ont en tout cas rien prévu pour la rencontre. Surtout, celle-ci ne fait pas sens pour eux. Les conditions ne sont alors pas réunies pour qu’ils lui trouvent un intérêt. L’enseignant lui-même n’a pas précisé ses attentes. Confronté à l’ennui voire à l’hostilité, l’auteur passe un mauvais quart d’heure. Marie-Aude Murail décrit ainsi l’expérience d’une rencontre entre deux mondes, qui n’a pas fonctionné, faute d’avoir été préparée :

Anéantie. Je rentre chez moi, moi l’écrivain qui vient de passer toute une journée avec des jeunes qui-n’aiment-pas-lire. Qu’est-ce que je suis pour eux ? Une bourge, une intello, le négatif de leur vie.

Qu’est-ce qu’ils sont pour moi ? La négation de ce que je suis (10).

Pour éviter cette situation inconfortable, il faut d’abord prendre le temps de préparer soi-même la rencontre, s’informer sur l’auteur, lire ses livres, discuter avec lui pour éviter tout malentendu, mais aussi pour que puisse naître un projet commun et un désir de partage. Il faut aussi bien sûr impliquer les élèves et, d’abord, leur annoncer la venue de l’auteur et donner du sens à celle-ci. Le travail en amont sur l’œuvre de l’écrivain permet de faire naître un intérêt et un questionnement.

Un auteur, pour quoi faire ?

Préparer la visite d’un écrivain, c’est aussi la penser comme un dispositif pédagogique, dont la forme dépend à la fois du contexte et des objectifs. La forme classique est celle de la rencontre-débat sous forme de dialogue entre l’auteur et la classe. Cet échange présente l’intérêt de sensibiliser les élèves aux conditions de vie d’un écrivain, mais aussi à la manière dont un texte s’écrit, et qui n’est peut-être pas celle qu’ils avaient imaginée. L’enjeu est de sortir d’une approche théorique… et surtout des dix questions que les auteurs entendent presque systématiquement, indépendamment de ce qu’ils écrivent !

Les formes qui intègrent davantage le texte de l’auteur sont souvent plus riches. On peut imaginer différents types de lectures, mises en scène et compositions graphiques, par lesquelles les élèves restituent leur propre perception du texte. La rencontre peut aussi donner lieu à un atelier d’écriture et de création, de plus ou moins grande envergure. Le rôle de l’écrivain varie d’un auteur à l’autre. Il consiste d’abord à susciter le désir d’écrire et à conduire dans des chemins de traverse, en amenant son regard, son expérience et surtout d’autres manières de faire.

Le travail en partenariat, avec des collègues enseignants ou documentalistes, mais aussi avec un libraire ou un bibliothécaire, permet de mutualiser les ressources et les idées et de voir un peu plus large. Il faut alors construire le projet ensemble en amont, et peut-être se saisir des dispositifs proposés par exemple par la Maison des écrivains et de la littérature.

One-shot ou rendez-vous réguliers ?

Le projet peut passer par une intervention unique d’un écrivain. Celle-ci a alors tout intérêt à s’inscrire dans une série de séances qui la préparent et la prolongent, mais surtout qui lui donnent un contexte et un intérêt. On peut aussi imaginer profiter de la venue d’un auteur pour lui proposer plusieurs interventions successives, si possible de formes différentes, et peut-être dans des cadres différents. Il faut veiller à éviter la répétition de plusieurs séances quasi-identiques, et l’épuisement de l’auteur.

Il est aussi possible de concevoir une série de rencontres, plus ou moins espacées, avec une classe, de manière à laisser la place aux questions spontanées et à pouvoir aussi prendre le temps d’un projet au long cours, qui entremêle lecture et écriture et qui aboutisse à une création propre.

Tout travail mérite salaire

Pour finir, en même temps qu’on pense la forme et les objectifs, il faut réfléchir aux moyens dont on peut disposer, et notamment au financement du projet. En effet, une intervention est pour un auteur une forme de travail, qui doit donc être rétribuée. Cette rétribution est une nécessité économique pour des auteurs qui ne peuvent presque jamais subvenir à leurs besoins par leur seule activité d’écrivain : les droits d’auteur qu’ils touchent sont de l’ordre de 6 à 8 % en moyenne du prix de vente d’un livre (de surcroît, ils leur sont payés l’année suivant la vente, donc avec un décalage de plusieurs mois). La rétribution de l’intervention est aussi une forme de reconnaissance à l’égard de l’auteur, qui n’est pas dans la classe pour promouvoir son livre, mais qui prend sur son temps pour accompagner des élèves. Comme pour le travail d’un enseignant, ce temps investi ne saurait se limiter au temps de présence dans la classe. Il faut lui adjoindre la durée du transport, et surtout la préparation de l’intervention, ainsi que, parfois, des prolongements (réécriture, échanges a posteriori, etc.). Pendant ce temps, l’écrivain n’est pas en train de travailler à ses propres textes. Certes, il se nourrit d’une certaine manière des rencontres, et a souvent à cœur de participer à une transmission qui lui paraît relever de son rôle social, mais il n’en mérite pas moins d’être rétribué pour ce travail.

La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a combattu pour faire admettre cette nécessité de rétribution, et établi des tarifs qui font aujourd’hui référence. Les modalités de rémunération varient à la fois selon la nature de l’intervention et selon le statut de l’auteur (selon qu’il est ou non affilié à l’AGESSA, la sécurité sociale des auteurs). Dès lors qu’il y a lecture, l’intervention peut être rétribuée en droits d’auteur. S’il n’y a pas de lecture, la rencontre est plutôt rétribuée en salaire (ou en honoraires quand l’auteur a un numéro de SIRET). Ces différences sont récapitulées dans un document élaboré par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et publié dans un livret avec une série de conseils pour des rencontres réussies.


Ressources

Pour construire le projet et mener à bien votre rencontre, vous trouverez de nombreuses ressources en ligne. En voici quelques-unes :

Sur le site de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse :

Les dispositifs de la Mél

Le dispositif Théâ de l’Office central de la coopération à l’école.

Le 1er juin des écritures théâtrales jeunesse.

Pour aller plus loin

  • Bégaudeau, François. Tu seras écrivain, mon fils, Bréal, 2011.
  • Bourdieu, Pierre, « Le champ littéraire ». Actes de la recherche en sciences sociales, 89, n1, 1991, p. 3-46. https://doi.org/10.3406/arss.1991.2986.
  • Chartier, Roger, La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur: xvie-xviiie siècle, Folio, 2015.
  • Meizoz, Jérôme. La littérature « en personne », Genève, Slatkine reprints, 2016.
  • Murail, Marie-Aude. Auteur jeunesse : comment le suis-je devenue, pourquoi le suis-je restée ?, éditions du Sorbier, 2003.
  • Naudier, Delphine. « La fabrication de la croyance en la valeur littéraire ». Sociologie de l’art, OPuS nouvelle série, no 4, 2004, p. 37-66.
  • Sapiro, Gisèle, « “Je n’ai jamais appris à écrire”. Les conditions de formation de la vocation d’écrivain », Actes de la recherche en sciences sociales, no 168, 2007, p. 12-33.
  • Sapiro, Gisèle, et Cécile Rabot (dir.), Profession ? Écrivain, CNRS Éditions, 2017.
  • Viala, Alain, « Qu’est-ce qu’un classique ? », Littératures classiques, no 19, 1993, p. 13-31.

 


Notes :
(1) François Bégaudeau a dressé un portrait savoureux de cet écrivain mythique dans son livre Tu seras écrivain mon fils, éditions Bréal, 2011. (revenir au texte)
(2) Philippe Meirieu évoque les invitations d’auteurs à l’école dans un entretien avec l’ARALD, association du livre en Rhône-Alpes. (revenir au texte)
(3) Voir l’article de Pierre Bourdieu sur le champ littéraire. (revenir au texte)
(4) Delphine Naudier a bien décrit les mécanismes de production de cette croyance. (revenir au texte)
(5) Jérôme Meizoz analyse ces situations dans lesquelles l’auteur intervient en personne et non pas seulement à travers son écriture. Voir par exemple Jérôme Meizoz, La littérature « en personne », Genève, Slatkine Reprints, 2016. (revenir au texte)
(6) Ainsi l’écrivain Christian Grenier décrit-il l’irruption de l’auteur vivant dans la classe (source : La charte des auteurs et illustrateurs jeunesse). (revenir au texte)
(7) Alain Viala a très bien décrit ce processus dans « Qu’est-ce qu’un classique ? ». (revenir au texte)
(8) Philippe Meirieu, art. cité. (revenir au texte)
(9) Ces entretiens ont été menés dans le cadre d’une enquête sur la reconnaissance professionnelle des écrivains, dont les analyses sont publiées dans Gisèle Sapiro et Cécile Rabot (dir.), Profession ? Écrivain, CNRS Éditions, 2017. (revenir au texte)
(10) Marie-Aude Murail, Auteur jeunesse : comment le suis-je devenue, pourquoi le suis-je restée ?, Le Sorbier, 2003. (revenir au texte)

Faites-nous part de votre avis :

Votre avis sera transmis directement à l’équipe d’auteurs.
Votre adresse email ne sera pas publiée sur le site.
Les champs obligatoires sont indiqués par *