De nombreux extraits des quatre manuels de la collection « Passeurs de textes » sont enregistrés par une conteuse ou par des comédiennes et des comédiens. Ces captations sont réunies dans une audiothèque que vous pouvez découvrir sur le site des manuels. En parallèle de la réalisation des ouvrages, des séances d’enregistrement ont été organisées en présence des auteurs des manuels. Ils se sont appuyés sur le travail des interprètes pour poser des questions qui guident les élèves dans leur écoute des captations audio. Un dialogue approfondi, entre professeurs de lettres et interprètes, s’est noué à cette occasion. En 6e, la conteuse Anastasia Ortenzio a mis en voix les textes, proposant parfois deux interprétations différentes d’un même extrait, ou une version contée comportant des improvisations et des variantes et s’écartant donc de la version reproduite dans le manuel.
L’écoute des captations d’Anastasia Ortenzio sera l’occasion pour les professeurs et les élèves de découvrir le travail d’une conteuse. Une interview de cette interprète est également disponible sur le site. Elle a été abrégée pour une meilleure adaptation au contexte de la classe mais nous sommes heureux de vous en faire découvrir ci-après la version longue.
Anastasia Ortenzio, vous êtes conteuse. C’est vous dont la voix lit et conte tous les textes que l’on peut entendre dans le livre de 6e. Et j’aimerais d’abord vous demander comment vous travaillez, comment travaille une conteuse concrètement sur un texte ou sur un conte.
Sur un conte, c’est très simple. Il faut d’abord trouver le conte qui nous plaît, qui me plaît. Quand il y a un écho, je me dis « tiens, ça, j’aimerais bien le raconter ». Je lis le texte et je le reprends à ma façon. Je regarde quels sont les éléments importants à dire, la structure. Je peux complètement changer la structure du conte pour amener un peu de suspense, de l’émotion, du rire. Puis je le dis avant de l’écrire. Je dis le conte oralement, pour moi, je le dis une fois, je le dis deux fois, je le dis trois fois, le temps qu’il s’installe. Et ensuite, il y a l’étape de la formulation. Je cherche toujours à simplifier le vocabulaire. Et je cherche aussi à introduire des expressions courantes, qui parlent à notre société. Par exemple, j’ai travaillé pendant longtemps sur Rumpelstilzchen. Rumpelstilzchen c’est le nain Tracassin. Le personnage principal de ce conte est une jeune meunière qui doit filer de la paille et en faire du fil d’or. Il fallait faire comprendre que ce n’était pas son métier, elle était meunière, elle n’était pas tisserande. Elle devait filer et en plus elle devait fabriquer de l’or. J’ai trouvé que la meilleure expression à dire à ce moment-là, c’est « elle s’est rendu compte que sa vie ne tenait qu’à un fil, un fil d’or ». Et je casse la paille qui se trouvait dans mes mains. Et là on comprend immédiatement tout le désespoir de la jeune femme.
Lorsque vous contez, vous travaillez la voix mais aussi les gestes. Vous pourriez nous expliquer un petit peu ?
Oui, alors, justement, si on prend ce conte… Les jeunes aujourd’hui ne savent pas ce que c’est qu’un rouet. Donc je faisais les gestes pour leur faire comprendre ce qu’est le rouet. D’une manière générale, lorsque je prépare un conte, d’abord ce sont les mots que je cherche. Parce que quand on travaille sur un conte, ce qui nous vient, ce sont les images. Et ce sont les images qui suscitent les mots à dire. Même si c’est un art de la parole, ce sont quand même les images qui influent sur la parole. Quand je prépare un conte, les paroles sont arrivées, le conte est là, il est prêt. Et ensuite il faut se le mettre en bouche, pour pouvoir le restituer sans problème, sans qu’il y ait de ruptures, de cassures. Et dans ce cas, il faut vraiment avoir en tête tout l’espace scénique dans lequel on va évoluer. Souvent, quand on est conteur, nous nous trouvons sur scène. La scène est quand même un cube, c’est un grand espace, il faut qu’on puisse évoluer dans cet espace. Et c’est là que notre travail ressemble un peu à celui du comédien, parce que nous nous déplaçons d’un endroit à l’autre de la scène, nous devons l’habiter. Si nous allons à droite, c’est parce que nous avons vu que ce palais se trouve à droite. Si nous allons à gauche, c’est que c’est là que se trouve la rivière. Même si le public ne la voit pas, nous, nous la voyons. Tout est très scénique, c’est un film qui se déroule, avec le décor. Et c’est pour ça que souvent il peut y avoir des interprétations, des improvisations quand on se trouve sur scène, parce que tout est tellement clair qu’à un moment, on a envie de décrire telle chose qui se passe au niveau des gestes, ils viennent assez spontanément. Quand la parole est juste, le geste est juste.
Il vous arrive de chanter, on l’a vu dans un enregistrement. Alors quel est le rôle de ce chant, de cette musique et comment viennent-ils ?
Le chant peut être improvisé, parce qu’il arrive à un moment dans le conte où il y a des choses qui se passent avec le public. Le chant, d’un seul coup, relie le conteur au public. Parfois aussi, le chant est prévu. Il se trouve au début, puis à l’intérieur du récit et il revient à la fin. Il a une signification. Il peut raccourcir le temps entre deux épisodes : au lieu de dire « le temps est passé, etc. », je vais chanter un petit refrain.
Existe-t-il encore des pays dans lesquels la tradition orale reste une source importante de connaissance des histoires ?
Je ne sais pas s’il existe encore des îlots d’oralité, mais j’entends dire qu’en Afrique, il y a des pays où on a encore l’arbre à palabres : est-ce du folklore, est-ce la réalité ? Par contre, en ce qui concerne les récits religieux, il y a quand même une transcription qui se fait. Par exemple en Asie, il y a les Vedas. Et les Vedas, ce sont des récits sacrés qui sont transmis de manière extrêmement précise. Et les conteurs qui reçoivent cette formation doivent apprendre non seulement le texte par cœur, mais aussi la musicalité, le rythme, les silences. Donc c’est vraiment de « l’appris par cœur », ce que nous ne faisons plus ici en France, enfin en Europe, en Occident. Le conteur est un auteur, il n’est plus un répétiteur.
Puisque nous sommes dans une société de l’écrit, des écrans, quelle est la valeur d’un « contage » oral, comme fait, la conteuse ?
Il est important dans notre société de garder le contact, le lien physique avec les personnes. Parce que tous ces outils de communication, Internet, téléphone, ordinateur… on les appelle « outils de communication », mais en fait, les personnes qui communiquent justement, qu’est-ce qu’elles font ? Elles sont seules. Elles sont seules face à leur écran, elles sont seules avec leur téléphone. Le conteur est là, il est présent, il est vivant. Il donne de sa voix, mais il donne aussi de son émotion. Il donne de son corps, il donne plus qu’un conte. Il donne la possibilité au public d’être ensemble. Et de vivre ensemble quelque chose de fort. La fonction du conte est de réunir les gens, de leur faire vivre un moment heureux ensemble, de leur faire comprendre qu’ils appartiennent à la même « humanité ».
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