Le nouveau programme du collège met à l’honneur, à côté des classiques, des genres littéraires manifestement choisis pour favoriser une lecture de plaisir. Ainsi en 6e, peut-on lire à propos du roman d’aventures, qu’il importe de proposer aux élèves « des œuvres qui, par le monde qu’elles représentent et par l’histoire qu’elles racontent, tiennent en haleine le lecteur et l’entraînent dans la lecture ».
Mais le roman d’aventures est-il réellement toujours en tête des lectures préférées des 10-12 ans ? Pour le savoir, nous avons interrogé Eva Grynszpan, directrice de la fiction aux éditions Nathan jeunesse.
Passeurs de textes : Quels sont aujourd’hui les grands succès de la littérature jeunesse ?
Eva Grynszpan : Depuis plusieurs années, les best-sellers de la littérature de jeunesse concernent un public de grands adolescents. Là où les premiers tomes de la série Harry Potter, ou les Orphelins Baudelaire, autre grand succès des années 2000, touchaient le public des 8-12 ans, aujourd’hui ce sont les 14 à 25 qui génèrent les ventes les plus considérables.
Passeurs de textes : Quel type de littérature ces grands adolescents recherchent-ils ?
Eva Grynszpan : Les uchronies et les dystopies ont indiscutablement leurs faveurs, même si des récits réalistes (comme récemment Nos étoiles contraires) peuvent aussi les passionner. Et que les histoires de vampires, une veine classique et ancienne de la littérature, ont prospéré après Twilight. Les récits d’anticipation, qui décrivent des mondes totalitaires ou proches de la dictature (Hunger Games, U4), mettent en scène des personnages de rebelles qui contestent l’ordre établi. Les adolescents se reconnaissent en eux.
Passeurs de textes : La figure de l’aventurier est-elle détrônée par celle de ces adolescents rebelles ?
Eva Grynszpan : La nature de la quête initiatique a changé. C’est indéniable. Le roman d’aventures met en scène l’accomplissement de soi, alors que les uchronies insistent plus sur la confrontation de l’individu et de la société (en arrière-plan, c’est une confrontation entre les valeurs des adolescents et celles de leurs parents). Ces ouvrages pour les adolescents d’aujourd’hui portent une dimension plus politique.
Passeurs de textes : Ces livres à succès ne suscitent-ils pas, en raison de leur écho médiatique et des adaptations cinématographiques auxquelles ils donnent lieu, le désir de lecture des plus jeunes ?
Eva Grynszpan : Si et les médiateurs (documentalistes, bibliothécaires) s’en plaignent. Or ces livres ne sont pas destinés aux 8-12 ans. Ils comportent des scènes de violence et la sexualité ou le sentiment amoureux sont souvent présents. Par ailleurs, les univers décrits sont souvent très sombres.
Passeurs de textes : Quel est donc l’équivalent pour les plus jeunes de ces récits dystopiques destinés aux adolescents ?
Eva Grynszpan : Le voyage dans le temps est un thème très prisé des 8-12 ans (La Cabane magique, Time Riders). Mais aussi les univers de fantasy, les mondes magiques. Si le roman d’aventures dans son acception classique a perdu les faveurs des jeunes lecteurs, il peut susciter leur enthousiasme s’il est teinté de fantastique. Le succès au cinéma de Pirates des Caraïbes en est un exemple. Car les récits de pirates peinent eux à trouver un public.
Passeurs de textes : Est-ce à dire que les robinsonnades, que les récits d’exploration, que les aventures maritimes séduisent moins les jeunes lecteurs ?
Eva Grynszpan : Ces sous-genres du roman d’aventure sont portés par les programmes scolaires. Les enfants ne les liraient peut-être pas spontanément. Il en va de même pour les romans historiques qui se concentrent sur des périodes liées à la prescription (Rome, la Grèce, l’Égypte), même si les gladiateurs et les pharaons plaisent toujours aux jeunes lecteurs.
Dans notre monde, la figure de l’aventurier n’est plus un navigateur ou un explorateur mais plutôt un hacker ou un spationaute. Seul sur Mars est d’une certaine façon une robinsonnade… Le film et le roman d’aventures n’ont donc pas disparu, ils se sont réinventés.