Les 20 mots de la réforme article 4

Nouveau programme - 19 mai 2016 par Alexandre Winkler

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Voici les derniers « mots de la réforme », en complément des trois précédents articles. N’hésitez pas à commenter la lecture du programme qu’ils proposent et à nous poser des questions.

 

Par Alexandre Winkler, de l’Académie de Grenoble.

ORAL

Il n’aura échappé à aucun lecteur du programme que la rubrique « langage oral » apparaît en première position devant les autres — la « culture littéraire et artistique » figurant, quant à elle, en dernier. Si cet affichage ne traduit aucune hiérarchie, il met néanmoins en exergue de nouvelles priorités dans ce domaine. Citons-en trois :

– L’étude de l’oral implique de nouvelles postures d’enseignement. Si le texte de 2008 définissait les conditions d’une prise de parole assez guidée, sous la conduite du professeur, le nouveau texte fait de ce dernier l’organisateur d’activités orales plus élaborées, ne se limitant pas à la prise de parole ponctuelle. Le débat régulé fournit l’exemple de ce type de travail, laissant une certaine autonomie à l’élève, et mettant l’enseignant dans une position d’accompagnateur ;

– L’oral doit susciter une réflexion sur sa spécificité. Son évaluation ne doit pas reposer sur une simple importation des normes en vigueur à l’écrit ; au contraire, en faisant réfléchir l’élève sur la nature de la situation de communication — exposé, débat, entretien, etc. —, il s’agit de lui faire prendre conscience de ses spécificités, et, à partir de là, des critères de réussite permettant d’évaluer sa prestation ;

– Acquérir une conscience de la langue se fait aussi à l’oral. Si les codes linguistiques de l’oral diffèrent de ceux de l’écrit, ce mode d’expression est également l’occasion d’une réflexion sur les normes d’acceptabilité qui le concernent — c’est-à-dire sa conformité aux règles de bonne formation grammaticale, adéquation à la situation de communication à l’interlocuteur et aux normes discursives en vigueur, par exemple.

Sur ce point, l’enjeu ne se réduit pas à la correction du langage ; il touche également à l’insertion du locuteur à une communauté, dont il est amené à partager les codes langagiers et linguistiques.

 

PARCOURS

Comme son nom l’indique, un parcours décrit un cheminement à l’intérieur d’un champ thématique donné. Ce cheminement est individualisé : il est spécifique à chaque élève, dans la mesure où son histoire scolaire lui est particulière — c’est l’une des différences avec la notion de programme, lequel, par-delà les différences de mise en œuvre, s’applique à tous.

Dans le nouveau collège, les parcours sont au nombre de trois :

– Parcours avenir : préparer, dès le cycle 4, l’élève aux choix d’orientation qui lui incomberont après la classe de 3ème ;

– Parcours citoyen : initier les élèves aux valeurs partagées qui unissent les membres d’une communauté — qu’elle soit scolaire, sociale ou républicaine ;

– Parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) : permettre aux élèves de développer des compétences d’expression, de réflexion et de réception à travers des découvertes, des rencontres et une pratique.

Si l’on ne peut exclure a priori que les professeurs de français participent activement au parcours avenir, leur contribution au parcours citoyen et au PEAC est évidente. Les questionnements anthropologiques auxquels invitent les entrées ont pour vocation d’alimenter le premier ; quant au second, l’imbrication étroite des domaines littéraires et artistiques lui offre un point d’appui solide, c’est pourquoi les professeurs de français auront à y jouer un rôle majeur.

Ces parcours ne correspondant à aucun enseignement particulier, et encore moins à un volume d’heures dédiées, leur mise en place est appelée à suivre des configurations variées. On peut, par exemple, imaginer qu’ils soient, dans certains cas, l’objet d’un pilotage très en amont, en rapport étroit avec le contrat d’objectifs de l’établissement ; dans d’autres cas, à l’inverse, il est possible qu’une identification rétrospective des actions liées aux parcours permettent de donner à ces dernières la visibilité souhaitée. Bien entendu, des solutions « mixtes » sont également envisageables. Par ailleurs, des applications numériques spécifiques permettront bientôt, via l’espace numérique de travail du collège, de constituer des porte-folios pour matérialiser ces parcours.

 

POSTURES

En induisant des modifications dans le processus de transmission des savoirs, les nouveaux programmes suscitent l’émergence ou le développement de postures nouvelles, tant du côté des élèves que des enseignants.

– Pour les élèves, l’adoption d’une attitude plus réflexive résume en grande partie la posture souhaitée. Ainsi, en favorisant un retour cognitif sur les éléments du cours, l’accompagnement personnalisé (AP) amène plus que jamais les élèves à faire le diagnostic de ce qu’ils maîtrisent et comprennent — effort impliquant de leur part une capacité accrue à objectiver leur relation au savoir. Quant aux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), la pédagogie de projet dont ils sont appelés à être le cadre suppose chez les collégiens une plus grande autonomie dans la recherche et le traitement des informations, pour ne rien dire de l’élaboration de la réalisation finale.

– Du côté des enseignants, les deux dispositifs cités vont dans le sens des évolutions déjà à l’œuvre au collège. L’AP et l’EPI facilitent le passage d’une posture « descendante » et magistrale à ces autres postures, permettant de suivre les élèves dans leurs activités, tout en les guidant et les conseillant — y compris hors de l’espace du cours de français. La prise en charge de groupes d’élèves — par exemple, dans le cadre d’une co-intervention —, ou la nécessaire différenciation qui lui est associée annoncent autant de solutions différentes, à adopter selon les circonstances.

Signalons toutefois qu’il ne faut pas voir, dans les attitudes décrites, de remise en question fondamentale des pratiques déjà en vigueur : l’expérience de l’AP en 6ème, les itinéraires de découverte (IDD) et les projets — menés ou non dans le cadre d’ateliers ou de classes à projet artistique et culturel (PAC) — ont déjà permis d’envisager et d’explorer des modes alternatif de transmission du savoir.

 

PROJET

La pédagogie de projet consiste à faire reposer la démarche d’apprentissage sur l’existence d’un but concret, dont la réalisation marque la fin du processus.

Cette approche est l’objet d’une promotion significative dans le nouveau collège ; toutefois, il ne s’agit pas d’une nouveauté. Pour ne citer que deux cas, l’atelier en collège est déjà le lieu d’application de cette méthode, dans la mesure où, à l’intérieur d’un volume d’heures donné, et dans un créneau spécifique, il permet à un groupe réduit d’élèves de s’acheminer vers un objectif final — ce dernier pouvant prendre la forme d’un spectacle théâtral, d’un court-métrage ou d’une exposition. Il en va de même des classes à projet artistique et culturel (PAC) qui, à partir d’un cycle de découvertes et de rencontres, aboutissent à une réalisation pratique. C’est, bien entendu, sans mentionner les projets ponctuels dont la séquence est déjà le cadre.

A ce titre, trois dispositifs peuvent d’ores et déjà concerner la stratégie pédagogique en question :

– Le nouveau collège consacre ce type d’approche en faisant de l’enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) son champ d’application par excellence. Dans un laps de temps donné, sur la base d’une thématique précise, et selon un axe de réflexion déterminé par une entrée, les élèves sont invités à construire un projet, soit en groupe, soit individuellement. Quelle que soit la forme qu’il prenne, il est l’objet d’une évaluation disciplinaire.

– La différenciation amenant à distinguer, au sein de la classe, des groupes de compétences, cette logique pédagogique peut leur être appliquée dans le cadre de l’accompagnement personnalisé (AP) — l’important étant, comme dans le cas de l’EPI, de définir avec soin une temporalité, un aboutissement, ainsi que les compétences visées.

– Comme cela était déjà le cas, un dispositif extra-scolaire tel que Collège au cinéma, peut donner lieu à un projet, s’il remplit les conditions évoquées ; son cadre d’accueil peut être l’un des contextes déjà mentionnés, ou tout simplement la progression ordinaire du cours de français, dès lors qu’un questionnement « libre » y est prévu. Inscrit dans le parcours d’éducation artistique et culturelle, ce projet peut être l’objet de l’épreuve orale du DNB.

 

PROGRESSIVITE (ET PROGRESSION)

La progression désigne un trajet, un itinéraire ; la progressivité un développement graduel — en l’occurrence vers un degré croissant de difficulté ou d’abstraction. Progression ou progressivité sont l’aboutissement de la réflexion de l’enseignant, la notion de programme annualisé étant définitivement remise en question, au profit d’attentes de fin de cycle.

Dès lors, il est possible de distinguer deux ensembles.

– Le premier concerne les quatre rubriques que constituent « langage oral », « lecture et compréhension de l’écrit », « écriture » et « étude de la langue ». Qu’il s’agisse du cycle 3 ou du cycle 4, des « repères de progressivité » sont clairement affichés ; ils fournissent soit des jalons à disposer soi-même, soit des repères temporels. Dans la rubrique « écriture », par exemple, le programme du cycle 4 donne des indications assez précises sur les objectifs à atteindre en 5ème ou en 4ème/3ème. Cela dit, ce type de repères reste comparativement peu fréquent, ce qui est normal au vu de la philosophie d’ensemble du programme, qui privilégie la liberté et l’expertise de l’enseignant : compte tenu des élèves et des circonstances, c’est à lui qu’incombe la tâche de construire cette progressivité.

– Le second concerne la « culture littéraire et artistique ». Chaque entrée prévoit une déclinaison spécifique en fonction des niveaux ; toutefois, sur le plan bibliographique, seules des indications sont données. En conséquence, ce sont les enseignants qui composent une progression, c’est-à-dire un choix d’auteurs et d’œuvres permettant de traiter l’ensemble des questionnements suscités par ces entrées — mais sans nécessairement rechercher une difficulté croissante dans le corpus retenu.

Il faut, à cela, ajouter deux remarques :

– Cette progression « littéraire et artistique » gagne à être l’objet d’une concertation collégiale, de sorte que, pour chaque établissement, un affichage des choix d’auteurs, d’œuvres ou de thèmes puisse être fait — une sorte de « ligne pédagogique », en somme. Toutefois, le curriculum ainsi proposé n’est pas une feuille de route rigide, ce qui serait source de frustration et de tensions. Des marges de souplesse doivent être aménagées.

– Progression et progressivité ne sont pas antithétiques. Au sein du curriculum littéraire et artistique, il est, par exemple, imaginable d’étaler sur deux niveaux l’étude d’un texte ample et riche, de manière à en faire apprécier la profondeur. Par ailleurs, à cette progression, fondée sur les textes, peut évidemment être annexée une progressivité dans l’étude de la langue, l’entraînement à l’écriture, sans oublier le développement des compétences d’expression orale.

 

THEMATIQUES

Les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) invitent des enseignants de matières différentes à collaborer sur un projet dont ils auront préalablement fixé la durée, le déroulement, les modalités d’évaluation, etc. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une thématique donnée.

Ces thématiques sont au nombre de huit :

  • Corps, santé, bien-être et sécurité
  • Culture et création artistique
  • Information, communication, citoyenneté
  • Langues et cultures de l’Antiquité
  • Langues et cultures étrangères ou régionales
  • Monde économique et professionnel
  • Sciences, technologie et société
  • Transition écologique et développement durable

Chacune décrit un axe de recherche où, a priori, toutes les disciplines ont vocation d’intervenir ; c’est dans l’espace formé par cette thématique que les enseignants inscrivent leur progression personnelle — car le programme continue à être traité dans le cadre des EPI. Sachant que le rôle central des professeurs de français au collège les destine à être particulièrement impliqués dans les EPI, trois observations peuvent être faites :

– Du point de vue de l’organisation de la progression annuelle, il faut concevoir la thématique comme un ensemble englobant le traitement d’une entrée, et, en conséquence, la problématique choisie — cette dernière étant formulée de telle sorte qu’elle permette, sur un objet donné, le croisement des regards avec un enseignant (ou plusieurs) d’une autre discipline. On peut, par exemple, imaginer que l’entrée « Informer, s’informer, déformer ? » puisse être traitée dans le cadre de la thématique « Information, communication, citoyenneté » ;

– A première vue, certaines thématiques peuvent sembler plus que d’autres solliciter l’intervention du professeur de français. La chose est évidente pour « langues et cultures de l’Antiquité », de même que pour « culture et création artistique » ; en revanche, on pourrait être circonspect face à « corps, santé, bien-être et sécurité » ou « transition écologique et développement durable ». En réalité, rien n’empêche la participation des lettres. Pour reprendre le dernier exemple, il pourrait être l’occasion d’aborder le questionnement complémentaire « progrès et rêves scientifiques », lequel invite à la lecture d’œuvres d’anticipation et de science-fiction où les questions d’environnement sont l’objet d’extrapolations particulièrement intéressantes ;

– Le traitement d’une thématique implique de remettre en question, au moins partiellement, la forme de la séquence, au profit de celle du projet pédagogique. Plus précisément, le processus doit être tendu vers une réalisation concrète, permettant aux élèves de solliciter leurs compétences langagières et linguistiques, et ce, sans perdre de vue le cadre thématique qui leur est imposé. Ainsi, la thématique « culture et création artistique » pourrait-elle se prêter à l’écriture et à la représentation d’un dialogue théâtral.

Au cours du cycle 4, les élèves doivent avoir traité six thématiques au minimum — soit, grosso modo, deux par niveau et par an. Chacune s’adresse à l’intégralité des élèves d’un niveau ; elle peut donc être prise en charge par plusieurs groupes d’enseignants, et autant de projets.

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