Beaucoup corriger – ne pas trop corriger : la correction individualisée

Pédagogie - 10 mars 2016 par Fabrice Sanchez

Que faire devant un paquet de rédactions ?

delacroix laliberteguidantlepeuple_230X230px« Il y a deux choses que l’expérience doit apprendre : la première, c’est qu’il faut beaucoup corriger ; la seconde, c’est qu’il ne faut pas trop corriger. »

Eugène Delacroix, Journal, 22 décembre 1823.

 

Le premier, le plus généreux des réflexes est de prendre son plus beau stylo, d’entourer, voire de corriger chaque erreur, de multiplier les remarques utiles et bienveillantes, d’adopter un code couleur, de souligner de trois traits ou deux vagues, d’entourer, d’encadrer, de biffer et de proposer, enfin, un corrigé type. Cette manière de procéder présente toutefois quelques limites.

Par Fabrice Sanchez, Professeur de Lettres modernes

 

Les professeurs signalent à longueur de copie et d’année les mêmes erreurs. Certains élèves auront lu dans leurs devoirs, à la fin de l’année scolaire, au moins vingt ou trente fois « attention aux erreurs d’accord dans le groupe nominal ». Ils auront peu progressé.

Comme dans certains tableaux de Nicolas de Staël, certaines copies présentent plus de rouge que de bleu. N’est-il pas décourageant, pour un élève, de voir tant d’erreurs rageusement signalées ? N’est-il pas fatigant, pour un enseignant, de donner tant de conseils dont si peu seront suivis ?

Reprenons notre tas de copies. De nombreuses erreurs subsistent. Nous les connaissons, les élèves ont déjà étudié ces leçons ; des rappels ont été faits ; nous avons rappelé ces rappels. La page était encore blanche, et l’on savait que cet élève oublierait les points et toutes les majuscules, cet autre, toutes les marques d’accord.

Il s’agit à présent de rendre les élèves autonomes. Ils doivent corriger seuls, ou en groupes, leurs erreurs. On peut regrouper des élèves partageant la même difficulté, on peut aussi croiser et conjuguer les talents : l’expert en accords dans le groupe verbal travaillera ainsi avec l’expert en terminaisons du passé simple.

  1. Chaque élève, ou chaque groupe, relit quelques lignes de leçon qui lui permettent de maîtriser le présent de l’indicatif ou les accords au féminin, le pluriel des verbes et des noms, etc.
  1. Ensuite, les élèves s’entraînent grâce à des exercices courts et variés. Ils ont un texte sans ponctuation à lire à voix basse afin d’en délimiter les phrases ; un court texte dont il faut corriger les accords [1], un texte à récrire au passé simple, etc.
  1. Ils relisent ensuite leur rédaction et reçoivent le bandeau : « Vous avez N erreur(s) de ce type à corriger ». L’on peut, bien sûr, aider progressivement les élèves : refuser d’intervenir tant que les trois quarts des erreurs ne sont pas corrigées ; indiquer ensuite les paragraphes des erreurs qui resteraient ; montrer la ligne, par des croix ; quand une erreur leur résiste, souligner le groupe de mots ; capituler parfois et désigner le mot, voire la syllabe.

Que les élèves maîtrisent un point de langue dans un trimestre, est parfois une gageure. Pour les aider à y parvenir, il vaut mieux éviter une correction trop précise, dans la lignée des « il manque un s » ; « je dois dire je vis et non je vus », « quand deux verbes se suivent, le deuxième est à l’infinitif », « tu dois remplacer par prendre ou pris et, si ça marche, etc. ».

« Beaucoup corriger » mais « ne pas trop corriger », dit Delacroix…

  1. Les élèves ayant étudié un point de langue, ils peuvent à présent le réinvestir dans un nouveau travail d’écriture. Le professeur doit établir une sorte de correspondance stylistique entre le thème de la rédaction, le point de langue à étudier et le nouveau sujet d’écriture.

Prenons comme exemple un travail autour de la nouvelle réaliste. L’arrivée du métro dans le quartier du collège a été l’occasion d’une promenade. Les élèves sont allés voir le chantier, ils ont pris quelques photographies du métro et des rues qui le cernent. À l’aide de ces photographies, ils ont réfléchi, échangé quelques idées. Ils ont formé des groupes, tracé quelques lignes et rédigé la première version de leur nouvelle. Ils l’ont relue, quelques jours plus tard, et récrite. Ils l’ont corrigée suivant le protocole précédemment décrit. Les phrases sont parfaitement ponctuées, les « il prena » ont été remplacés, les -s et les -e généreusement attribués.

Les élèves doivent à présent s’aguerrir.

Ainsi, un groupe avait raconté le braquage d’une banque (qu’apparemment, le métro rendait possible…) ; il traçait de longues phrases sans majuscule ni point. Lors de cette quatrième étape, les élèves ont dû raconter une course-poursuite, au moyen de courtes phrases : leur brièveté servait à la fois le suspense et la correction grammaticale [2]. Un autre groupe situait sa nouvelle dans un taudis. Il devait, à l’aide d’une photo, décrire ce taudis : rien n’est plus dangereux, pour celui qui accorde difficilement les noms et les verbes, ni plus formateur, que la description d’un lieu foisonnant. Enfin, un dernier groupe avait choisi pour héroïne la gérante d’un salon de coiffure. Le salon moisissait, le métro en a fait un commerce florissant. Mais en dépit de cette nouvelle fortune, pas un adjectif féminin n’était accordé. Nous avons donné aux élèves une liste de produits de beauté, quelques images et quelques noms trouvés sur Internet : ils devaient raconter « une journée relooking [3] » au salon. Alors, et sans connaître Zola, le groupe pasticha les poèmes en prose du Bonheur des Dames : « Alors, elle fit venir des houppettes à poudre dorées, des crèmes bleues, etc. »

Cette démarche est élémentaire : les élèves révisent une leçon lue mille fois ; ils l’apprennent malgré eux ; ils s’exercent, s’entraînent, se corrigent, rédigent et s’appliquent à ne plus faire un type précis d’erreurs. Lors d’une prochaine rédaction, nous rappellerons à chacun d’eux l’erreur à désormais bannir. Lors d’une troisième rédaction, nous ne dirons rien, beaucoup sauront, en effet, qu’il faut délimiter ses phrases, ne pas confondre la première et la troisième personne. Nous pourrons alors corriger un autre point de langue, peut-être.

Dote-t-on ainsi nos élèves d’une langue de notaire ? Sans doute pas, ou pas immédiatement, mais leur attention s’est accrue, leur conscience grammaticale, le soin qu’ils apportent à se relire. Les erreurs n’ont pas disparu, mais les élèves qui rendent une copie l’accompagnent parfois d’une remarque telle que : « Il y a encore des erreurs d’accord mais je ne peux plus rien faire. »

En effet, il y a « encore des erreurs d’accord » – trois, quatre, et non plus trente.



[1] On a beaucoup écrit contre « la pédagogie par l’erreur » : rien de faux ne doit subsister au tableau et, en effet, si « couronne », « courrone », « courronne et « courone » sont écrits, même rageusement barrés, comment se souvenir de la bonne orthographe ? On imagine aisément le vertige de ceux qui voudront se le rappeler. Toutefois, « joli », « jolie », « jolis » et « jolies » existent et leur seul contexte syntaxique les rend corrects ou impropres.


[2] Certes, les choses sont plus complexes : rien n’est plus long qu’un roman dont aucune phrase n’excède six mots : Beckett, Molloy. L’alternance de phrases courtes et de quelques longues phrases fait la merveilleuse vitesse de Point de lendemain : « J’aimais éperdument la comtesse de *** ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. »


[3] L’expression vient d’une élève du groupe ; elle résume, mieux que notre sujet initial, ce que nous attendions.

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